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Entretien avec Adrien Bussard

Responsable du centre W.INN - CHU de Brest

Retranscription de l'entretien


Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Adrien Bussard, je suis docteur en sciences du vivant. Je suis actuellement chef de projet innovation au sein du CHU de Brest, et également coordinateur du centre d'innovation W.INN. Avant d'arriver au CHU, j'ai travaillé dans la valorisation de la recherche, au sein de la SATT Lutech, à Paris, pendant trois ans. Puis dans une multinationale spécialisée en nutrition animale pendant deux ans, où j'étais responsable de la mise en place de l'innovation.

Quelle est votre définition de l'innovation ?

Alors pour moi, l'innovation, c'est de proposer une solution, qui permet de répondre à un besoin qui n'est pas couvert, qui est seulement partiellement ouvert. Il faut que cette solution soit généralisable et viable dans le temps.

Quelle est votre définition du management de l'innovation ?

Pour moi, le management de l'innovation, il y a deux volets : la structuration de la stratégie et sa mise en place.

Pour la structuration, pour moi, il faut qu'elle soit simple, agile et transparente. Donc cette structuration, ça peut être des outils, ça peut être une organisation, ça peut être des process, ça peut être une équipe. Plein de choses finalement, qui permettent de cadrer les projets d'innovation et la philosophie de l'établissement.

Et, la mise en place, c'est un volet tout aussi important pour moi qui va nécessiter de la pédagogie, de l'acculturation, pour que cette stratégie, finalement, soit acceptée et efficiente au sein de l’établissement.

Comment a été menée la création du centre d'innovation W.INN ?

La création du centre W.INN a été menée, finalement, en se basant sur le terrain. On a vraiment interrogé les startups, les agents du CHU, bien entendu nos partenaires de l'écosystème pour essayer de comprendre leurs besoins. Ça a été la première étape, qui nous a permis finalement de proposer une première proposition de valeur, que pourrait apporter notre centre. Cette proposition de valeur, on l'a confrontée aux obligations et aux stratégies de la direction. Ce qui nous a permis, finalement, de se placer comme un maillon facilitateur dans toute cette organisation et qui a permis d'initier le projet.

La création du centre W.INN a-t-elle été comprise par vos collaborateurs ?

La création de ce centre a bien été comprise par les collaborateurs, parce qu’il a été construit avec eux. On s'est vraiment basé sur leurs besoins. Donc si on répondait à leurs besoins, qu'il soit exprimé ou latent, finalement, ça a permis une appropriation du projet assez facilement.

De plus, du point de vue de nos partenaires, de notre écosystème, on a vraiment essayé de s'intégrer à ce qui existait déjà, ce qu'il manquait. Et non pas, finalement, marcher sur les plates-bandes des autres. Donc on a aussi été très bien accueillie par nos partenaires.

Quels avantages apporte le centre W.INN ?

Les principaux avantages de ce centre, tout d'abord, c'était la visibilité. On n'était plus une direction d'un CHU, on était W.INN, un centre d'innovation. Donc, ça nous a permis finalement de lever certaines barrières, certaines appréhensions, que les innovateurs pouvaient avoir, aussi bien en interne, qu'en externe. On va dire que ça a été un atout qui a été majeur et qu'on a vu dès la création du centre.

Ça nous a permis aussi, pour les startups, de les rapprocher de leurs terrains d'expérimentation. W.INN, aujourd'hui, héberge certaines startups, donne accès à certaines startups, aussi, et ce qui permet finalement de simplifier les liens. On est à quelques minutes à pied, du cœur d'un de nos principaux sites, donc ça facilite les interactions et les expérimentations.

Et le troisième point, bien sûr, c'est en lien avec nos partenaires. Nous, on sait cadrer les projets, on sait les expérimenter, on sait les évaluer. Mais un projet d'innovation, ce n'est pas que ça. Il y a aussi tout le volet autour, de ce qui peut être développement commercial, analyse réglementaire, stratégie de propriété intellectuelle, recherche de financements. Et finalement, ce lieu, il a été construit aussi pour nos partenaires, qui jouent un grand rôle dans la vie de ce centre. Et du coup, ça nous permet de voir un projet, finalement, de l'idée à l'innovation, bien sûr, mais en passant aussi par la validation réglementaire, le développement commercial, etc.

Existe-t-il des dynamiques communes entre la recherche et l'innovation ?

Clairement, oui. W.INN, finalement, est dépendant de la DRCI du CHU de Brest. Donc, on est intimement lié. Même si on a gardé nos propres processus, notre propre agilité, donc, qui nous permet de ne pas être assimilés au processus de recherche. Par contre, on les connaît bien, on connaît leur process. On sait comment il travaille, on sait pourquoi ils travaillent, quelles sont leurs forces et nous pareil. Donc, ce qui nous permet finalement d'avoir deux process différents, mais de travailler en étroite collaboration avec eux.

Quels sont les objectifs du centre W.INN ?

D'un point de vue très opérationnel, les objectifs de W.INN sont triples. Le premier, bien sûr, c'est de pouvoir gérer des projets. C’est-à-dire, faire germer des idées, cadrer ses idées en projets d'innovation et les suivre jusqu'à leur déploiement. Donc ça, c'était l'origine de la direction innovation et c'est encore plus, maintenant, fort dans la proposition de valeur de W.INN.

Le deuxième point, c'est l'acculturation, la pédagogie. On sait qu'aujourd'hui, que l'innovation, c'est un mot qui est polysémique, qu'on retrouve un peu partout, que finalement, les gens ont un petit peu du mal à comprendre. Donc, ça aussi, ça fait partie des leviers, “pourquoi ils n'arrivent pas à innover ?”. C'est parce qu'ils ne comprennent pas forcément ce mot-là. On est là aussi, pour proposer des ateliers de démonstration d'innovation, mais également des ateliers thématiques qui permettent de parler sur un format un peu ludique, sympathique, d'une heure, d'une thématique particulière. Et, qui nous a permis finalement de toucher des agents ou même des personnes extérieures, des étudiants, des passants qui étaient intéressés par ces sujets-là, de pousser les portes de W.INN et de parler de cette thématique-là. Mais ça nous a aussi permis de capter ces personnes-là à W.INN et de leur expliquer : “W.INN, c'est ça, vous pouvez innover en santé avec W.INN”.

Et le troisième objectif de W.INN, bien sûr, c'est un accompagnement privilégié des startups en santé. W.INN, aujourd'hui, en héberge trois. Il y en a cinq ou six maintenant qui ont accès à W.INN. Donc on va dire qu'on a une relation privilégiée. On a vraiment essayé de créer, de renforcer ce lien privilégié que l'on a, avec les startups.

Quel est le positionnement du centre W.INN au sein de l'établissement ?

La direction innovation est antérieure à la création de W.INN. Donc, finalement, ce que l'on a fait dans W.INN, c’est qu’on a repris, les éléments d'organisation et de hiérarchie qui était déjà existants. Au niveau de la gouvernance, on a vraiment voulu, depuis le début, avoir une gouvernance simple, qui cadre avec la rapidité qu'exigent les projets d'innovation. Quand je vous dis, une gouvernance simple, il n'y a que trois niveaux. Il y a une cellule opérationnelle qui est vraiment là tous les jours pour opérer sur les projets, sur les initiatives, sur les ateliers.

On a un deuxième niveau qu'on appelle, le staff innovation, qui est vraiment là pour décider. Le staff innovation se réunit toutes les semaines, ce qui permet finalement d'arbitrer relativement rapidement sur toutes les décisions.

Et également, le troisième niveau, qui sont les comités innovation, qui se tiennent avec les chefs de pôles, la direction générale, et qui permettent, finalement, d'informer sur tout ce qui se passe au niveau d'innovation.

Finalement, entre le niveau un et le niveau trois, on a quatre mois. Ce qui permet d'avoir une rapidité d'exécution dans tous les projets d'innovation. Et ça, on a voulu vraiment le garder dans W.INN, parce que ça fonctionnait très bien. On va même l'optimiser d'ici la fin d'année en intégrant dans cette gouvernance des partenaires de notre écosystème, qui joue un rôle vraiment clé.

Quel est son positionnement vis-à-vis de l’écosystème économique ?

Les partenaires, c'est vraiment l'essence même de W.INN. On a construit notre proposition de valeur, bien sûr, par rapport aux compétences que l'on a en interne, mais aussi par rapport aux opportunités que l'écosystème nous apportait. Donc, on s’est par exemple lié avec le village by CA, avec BPI Bretagne, avec le technopôle Brest Iroise, avec Biotech Santé Bretagne, et avec notre fonds de dotation Inoveo, ce qui nous permet finalement d'appréhender un projet d'innovation sous toutes ses formes. On prend l'idée, on le cadre, on avance dans le projet, sur tous les volets réglementaire, financier, stratégiques, et on va même jusqu'au développement commercial, création de startup. Donc, finalement, on est vraiment intégré à cet écosystème-là, et nos partenaires de l'écosystème réalisent même des permanences à W.INN. On a vraiment essayé de fractionner une semaine en journée thématique, où chacun de ses partenaires a un rôle à jouer à différents moments de la journée. Ce qui permet aux porteurs de projets de venir à une journée qu'il s'est dédiée à la thématique qui l'intéresse, de trouver un interlocuteur, qu'il soit CHU, partenaire pour avoir une réponse à ses questions. Et nous, en interne, ça nous permet d'avoir un suivi, d'avoir une interaction beaucoup plus forte que si on restait de simples partenaires liés par un contrat ou une convention.

Comment est-il organisé et quels sont ses moyens ?

L'organisation de W.INN, finalement, elle a deux volets. Un volet interne, gérés par les agents du CHU. Donc aujourd'hui, on est une équipe de huit personnes. Moi à temps plein, en tant que coordinateur, et également sept autres personnes. Il y a un ergonome, un chef de projet SI notre responsable sécurité des systèmes d'information, un juriste, un chargé de communication et deux personnes qui sont vraiment clés dans cette organisation, un médecin référent innovation et une cadre supérieure de santé qui est référente innovation pour les paramédicaux. Donc ça, ça nous permet d'avoir un œil et un bras, finalement, sur le terrain pour mener à bien des projets.

Donc en plus de cette cellule opérationnelle, il y a bien sûr nos partenaires, nos partenaires qui jouent un rôle clé dans W.INN, car W.INN c’est eux aussi en quelque sorte. À titre d'exemple, Biotech Santé Bretagne et le technopôle dégage presque cent soixante heures par an à l'activité de W.INN, où il réalise des permanences, des évènements à W.INN. Ce qui permet de faire vivre tout ça, et d'avoir une organisation vraiment intégrée avec notre écosystème.

Vous êtes-vous inspiré d'autres modèles ?

Alors, oui, avant de travailler au CHU de Brest, je travaillais dans une multinationale spécialisée en nutrition animale qui avait finalement développé une culture innovation assez forte avec un centre d'innovation dédié. Et finalement, j'ai retrouvé un peu les mêmes problématiques entre l'hôpital et cette multinationale, ce qui m'a permis finalement d'affiner mon modèle à partir de cet exemple.

Donc W.INN, finalement, découle en quelque sorte de cette expérience antérieure que j'ai eu.

Depuis sa création, qu’a-t-il apporté à votre établissement ?

Depuis sa création, qui est très récente (fin d'année 2021), on voit vraiment qu’il y a un flux de projets qui est de plus en plus important. On voit des porteurs de projets de plus en plus variés. Avant, on avait, la première année, surtout des médecins. Là, on voit aujourd'hui qu'il y a des paramédicaux, des aides-soignants, et même des administratifs, qui osent proposer des projets d'innovation. Il y a également, bien sûr, des projets qui viennent de l'extérieur, des startups. Au départ, c'était un peu sporadique, mais là, la quantité de porteurs de projets d'innovation issus de startups ne fait qu'augmenter.

Donc, finalement, on a réussi notre pari en quelques mois, qui était d'augmenter notre visibilité. Et ça, c'était un de nos paris.

Quelles sont vos prochaines échéances importantes ?

Les prochaines échéances de W.INN, c'est bien sûr d'optimiser et de renforcer la cellule. Donc on va défendre l'appel à projet tiers-lieux d'expérimentation. D'un point de vue très opérationnel, on va aussi ouvrir, vraisemblablement, une plateforme. Je vais rester un petit peu mystérieux parce que c'est encore confidentiel aujourd'hui. On va essayer de diversifier les activités de W.INN.

Et, bien sûr, les prochaines échéances, ça va être d'amplifier nos partenaires, notre réseau, au niveau breton, aujourd'hui, nous ne sommes pas avec tous les partenaires qui pourraient apporter une plus-value à W.INN. Donc, on va aller chercher ces partenaires. Et également au niveau national, on va essayer de créer des liens encore plus forts avec des acteurs clé de l'innovation en santé du territoire.

Selon vous, quels sont les facteurs clés de succès ?

Alors les facteurs clés de succès pour arriver à un centre d'innovation. C'est déjà faire preuve de beaucoup d'empathie. Se rendre sur le terrain pour identifier les besoins, quels sont les besoins ? Parce qu'ils ne sont pas toujours exprimés, parfois, ils sont latents. Il faut essayer de les trouver, de les détecter pour proposer une proposition de valeur qui est cohérente avec l'établissement.

Associé à ça, le deuxième facteur de succès, pour moi, il est clairement, par rapport à notre écosystème. Il faut pouvoir le comprendre et ne pas marcher sur les plates-bandes, de certains partenaires, mais plutôt essayer de co-construire avec eux. Il y a la place vraiment pour tout le monde. Ce qui permet de se placer comme un maillon facilitateur, agrégateurs et non comme un compétiteur. Et dès qu'on est vu comme un maillon, facilitateur, agrégateur finalement tout se simplifie, toutes les portes s'ouvrent. Pour ça, il faut vraiment pouvoir comprendre les besoins de chacun.

Si vous deviez recommencer, que feriez-vous différemment ?

Alors finalement, W.INN a que quelques mois d'existence. La direction innovation existe depuis mars 2020, mais W.INN a 6 ou 7 mois, aujourd'hui. Donc, je pense qu'il est un peu tôt pour essayer de tirer des conclusions par rapport à la stratégie que l'on a adoptée.

Peut-être que si je devais mentionner un point, ce serait d'intégrer, dès le départ, une sorte de fond qui permette de dégager du temps pour les paramédicaux et les médecins dans les projets d'innovation. Parce qu'on voit aujourd'hui que finalement, le verrou, ce n'est pas tant la méthodologie, ce n'est pas tant la motivation. C'est vraiment le temps que les professionnels peuvent dégager à cette activité.

Donc c'est peut-être ça que j’améliorerais si je pouvais revenir en arrière.

Selon vous, pourquoi est-il nécessaire d'organiser le management de l'innovation ?

Pour moi, le meilleur argument, c'est de dire que les utilisateurs finaux des solutions d'innovations en santé peuvent également être les acteurs qui ont contribué à la production de ces solutions. Donc, finalement, on répond aux besoins des utilisateurs. Ils ont la solution qu'ils attendent. Mais ils peuvent aussi se dire : “cette solution, c'est un peu moi, elle est cadrée sur mes besoins”. Donc ça permet de se sentir valorisé et aussi de sortir peut-être des missions un petit peu plus classiques de la santé et de donner une sorte d’allant aux professionnels qui souhaiteraient s'investir dans des projets d'innovation.

Personnellement, qu’est-ce que cette aventure vous apporte ?

Alors pour moi, personnellement, cette aventure m'apporte beaucoup en termes d'engagement. On voit clairement aujourd'hui que les premiers résultats portent leurs fruits. On a instauré une stratégie, on a mis en place des process, on a fait preuve de pédagogie. Et on voit, aujourd'hui, finalement, certains services qui reviennent. Ils sont arrivés avec un petit projet, pas forcément sûr d’eux. On voit aujourd'hui certains services qui sont à quatre, cinq projets en même temps. Et ça, il n'y a rien de plus gratifiant, de voir ça. De voir cette autonomie, finalement, que les agents ont acquis à partir des outils qu'on leur a mis à disposition et à partir d'une pédagogie, d’une acculturation qu'on leur a proposé.

Donc pour moi, ça, c'est une marque une importante du travail et qui me permet d'envisager ce métier sous les plus beaux jours.