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En plus du modèle de direction innovation proposé dans le Guide, Hospi'Up donne la parole aux acteurs de l'innovation en santé. Au travers des Entretiens Hospi'Up, explorez d'autres modèles d'organisations hospitalières dédiées au management de l'innovation et découvrez le point de vue d'acteurs économiques travaillant auprès des établissements sanitaires et médico-sociaux.

Entretien avec Antoine Loron

Président et co-fondateur - Hublo

Retranscription de l'entretien


Pouvez-vous vous présenter ?

Je m'appelle Antoine Loron, je suis l'un des trois cofondateurs et le président de Hublo que j'ai fondé il y a six ans, après quatre ans dans un cabinet de conseil en stratégie pour gérer les problématiques de santé et transformation digitale. Et Hublo, en quelques mots, Hublo notre mission, c'est de développer des outils digitaux innovants pour transformer la façon dont les hôpitaux recrutent, managent et motivent leurs talents.

Quelle est votre définition de l'innovation ?

Ma définition de l'innovation, c'est d'imaginer, de concevoir et de mettre en œuvre des actions qui vont changer un état de fait pour un autre état, pour le rendre mieux. Sachant qu'il faut bien définir le mieux. Mais il y a aussi un autre élément qui est important pour moi, même essentiel, dans la typologie, dans ce mot innovation, c'est le côté état d'esprit. Être quelqu'un d’innovant, en fait, c'est un état d'esprit et je considère que c'est l'apanage de tout le monde, d'être innovant. Certains le feront plus facilement et d'autres ont besoin d'être plus accompagnés.

Quelle est votre définition du management de l'innovation ?

Pour définir le management de l'innovation, j'aimerais revenir sur la définition, selon moi, du management, qui est de gérer la tension entre l'humain et les résultats. Et donc en fait, c'est pareil pour l'innovation. Manager l'innovation, c'est gérer cette tension entre l'humain, les personnes qui doivent innover, et les résultats attendus. Donc manager l'innovation, c'est accompagner tout le monde, tous ceux qui doivent innover, pour leur permettre d'atteindre des résultats, tout en s'épanouissant eux aussi.

Pourquoi mettre en place une organisation dédiée au management de l'innovation ?

Je pense qu'il est important de s'organiser pour innover parce que la recherche concerne généralement un nombre restreint de personnes, alors que l'innovation concerne tout le monde, les directeurs, le directeur général, la directrice générale, mais aussi les médecins, les soignants, les administratifs, tout le monde. Et donc on a besoin de s'organiser différemment pour gérer deux choses qui sont différentes. Et l'autre raison pour laquelle on a besoin de s'organiser pour gérer l'innovation, c'est que l'innovation peut être aussi sur un temps très court, sur des moments rapides et des projets qui sont courts et efficaces. Là où la recherche, dans la majorité des cas, va plutôt être sur le temps long.

Donc ils sont, pour moi, deux objets différents et des enjeux qui nécessitent d'être adressés par une organisation adaptée.

Connaissez-vous un modèle qui pourrait servir d’inspiration ?

Je pense qu'il y a beaucoup de modèles de direction innovation, par exemple, qui existent dans l'industrie et je pense que l'hôpital a tout intérêt à regarder ce qui se fait à l'extérieur. Ça a aussi commencé dans des groupes privés, dans la santé, mais c'est plus récent. En revanche, dans plein de secteurs d'activité, il y a des directions de l'innovation. Même nous, en l'occurrence, chez Hublo, à notre échelle, en fait, on a créé une équipe innovation, qui est distincte de notre équipe recherche et développement, qui fait la conception et le développement du produit et dont le rôle, c'est d'imaginer les nouvelles choses que Hublo va développer demain et qui est à l'interface de toutes les autres équipes. C'est une équipe qui ne travaille pas seule, mais qui travaille avec tout le monde et qui à la fois s'inspire, se nourrit de ce que font les autres équipes et collabore avec elles et après, redonne et communique sur les réussites sont collectives.

Existe-t-il nécessairement un continuum entre la recherche et l’innovation ?

Il y a souvent un continuum entre la recherche et l'innovation, mais pas nécessairement. Je pense qu'il y a souvent un continuum entre recherche et innovation dans ce sens-là. En revanche, je pense qu'on peut innover sur des choses toutes simples, qui sont moins scientifiques et qui ne nécessitent pas une recherche, une recherche préalable. On peut innover en vingt-quatre heures et mettre en place un nouvel outil, un nouveau procédé, une nouvelle idée sans avoir eu derrière une approche plus scientifique de recherche. Donc je pense que l'innovation, il ne faut pas du tout la conditionner à la recherche, sinon on la ralentit.

Quels objectifs fixeriez-vous à une direction innovation ?

Je pense qu'on peut fixer plein d'objectifs, ou sous-objectifs, à une telle cellule. Le premier objectif, je dirais, c'est que tous les membres de cette direction d'innovation doivent rencontrer un maximum de personnes en interne et en externe, pour se nourrir d'idées, de relations, de contact. Donc au moins une fois par semaine, rencontrer quelqu'un de l'interne, quelqu'un de l’externe qui va dans une démarche d'innovation, ça, c'est la première chose. Je pense que la deuxième chose qui est fondamentale pour qu'une cellule innovation fonctionne bien, c'est qu’elle travaille en mode projet. Avec tout ce que ça peut impliquer, la capacité à définir un début, une fin, de s'y tenir. D'abandonner plein de projets parce qu'ils traînent, qu'ils sont trop lents. Il faut être capable de dire non à des projets, donc vraiment se mettre en mode projet. Je pense aussi que cette cellule d'innovation, elle doit aussi organiser des événements plus larges, au sein des établissements. En mode hackathon, des ateliers pour faire participer des acteurs et mélanger des acteurs internes et externes qui peuvent aboutir à des idées, à des projets, à des actions, à des solutions, à des solutions numériques.

Et enfin, si je devais fixer un objectif pour cette cellule innovation, en fonction du nombre de personnes qui la constituent. C'est aussi qu'il y ait un nombre de projets qui soit restreint. Pour que les projets, à nouveau sa rejoint mon idée précédente, ils puissent avancer, avoir suffisamment de ressources et qu'on ne se perd pas dans une multitude de projets avec des échéances qui ne sont pas respectées ou des projets qui traînent en longueur.

Comment devrait-elle être positionnée au sein de l’établissement ?

À mon sens, cette cellule innovation doit avoir un rôle central. La directrice, le directeur de l'innovation doit être au comité de direction. Et il doit être vraiment au milieu de l'ensemble des autres directions, et rencontrer régulièrement ses homologues, tous les directeurs fonctionnels, un maximum de personnes et des personnes sur le terrain également. Ça peut même prendre la forme de moments d'observation, d'une demi-journée, d'une journée où les personnes vont passer du temps avec des soignants, avec des médecins, avec des administratifs, des dirigeants. Juste observer comment ils travaillent pour voir sur le terrain qu'est ce qui ne marche pas, quels sont les problèmes et comment les résoudre. Et ça, pour que ça fonctionne, il faut vraiment que la cellule innovation soit centrale parce que c'est la cellule qui est le plus à l'interface de tout.

Quel devrait être le rôle d’un établissement de santé au sein de son écosystème économique ?

Le rôle d'un hôpital, d'un établissement de santé, c'est déjà, pour moi, de se nourrir un maximum de ce qui se fait. J'en ai parlé, en interne, mais aussi en externe. Regarder évidemment ce qui se fait dans d'autres établissements, et ça, les hôpitaux le font déjà très bien. Mais aller, au-delà de ça, être capable de s'ouvrir à ce qui se fait, comme je l'expliquais, dans d'autres secteurs. D'aller parler à des acteurs plus gros, plus petits, plus innovants. Donc le premier objectif, c'est de s'ouvrir et de se nourrir vraiment de l'extérieur.

Et deuxième objectif, c'est aussi, en fait, de communiquer sur ce qui est fait en termes d'innovation. De communiquer non seulement à l'extérieur, sur ses succès, les innovations qui ont fonctionné, mais aussi sur les échecs, les idées d'innovation qui n'ont pas fonctionné. Pourquoi être capable d'en parler, non seulement à l'extérieur, mais aussi à l'intérieur ? Je reviens sur mon idée fil rouge qui est que l'innovation est l'affaire de tous. Et pour animer, enrichir, impulser cette dynamique d'innovation, chacun à l'hôpital public, il faut aussi beaucoup communiquer dessus, y compris en interne.

De quoi les hospitaliers ont-ils besoin pour innover ?

Cette cellule, aux hospitaliers, elle peut et elle doit leur apporter de la méthode. Ça doit être un catalyseur d'innovation, donc pas forcément de nouvelles idées. Mais plutôt une façon de travailler, une façon d'avancer, de travailler en mode projet. Et elle peut aussi apporter un regard extérieur, avec des personnes au sein de la cellule ou en faisant travailler des partenaires qui vont avoir une expérience ou des profils différents.

Pour que cette cellule fonctionne, évidemment, il y a aussi un enjeu financier. Aujourd'hui, dans la santé, en France, le numérique représente seulement 1% des dépenses totales. Alors que dans les autres secteurs, en moyenne, il s'agit plutôt de 5%. Et cette innovation numérique ou digitale, elle va contribuer à l'amélioration de la situation, à faire des gains de productivité, et avoir un impact qui va décupler le fonctionnement d'un établissement ou d'un secteur. Les secteurs les plus digitalisés frôlent même les 15%, donc quand on est à 1% dans la santé en France, il y a un vrai enjeu financier, et de pouvoir allouer des moyens pour l'innovation, l'innovation numérique notamment.

Selon vous, quels sont les facteurs clés de succès ?

Comme souvent, le principal facteur clé de succès, ça va être les personnes qui vont composer cette direction de l'innovation. Avoir des personnes qui sont capables d'aller à la rencontre des autres, qui aiment se nourrir de ce qui se fait chez les autres, avoir des relations. Comprendre ce qui se fait à l'intérieur, mais aussi à l’extérieur. Donc ça va surtout être un sujet de personnes, qui aiment à la fois penser les choses de façon théorique, mettre en place des projets, mettre les mains dans le cambouis. Je pense que c'est essentiel et c'est une expression que j'aime beaucoup au sein d'une direction de l'innovation. Et bien entendu, je l'évoquais précédemment pour que cette direction de l'innovation fonctionne, l'un des facteurs clés de succès, c'est aussi de lui donner les moyens et d'avoir un budget dédié pour qu'elle puisse faire son travail et avoir un réel impact sur l'ensemble de l'hôpital.

Selon vous, pourquoi est-il nécessaire d'organiser le management de l’innovation ?

L'argument pour moi, il me semble presque évident, qui est qu'une structure, qu'une entité qui n'innove pas, elle est condamnée à mourir. Et je pense qu'on est tous convaincus que l'hôpital public, on doit le chérir et c'est un trésor. Donc, innover pour l'hôpital public, c'est une nécessité.

Pensez-vous que les innovateurs ont besoin d’être accompagnés ?

Je pense en effet que tous les innovateurs ont besoin d'être accompagnés. Et je distinguerai deux profils d'innovateurs. Les innovateurs proactifs, donc ceux qui ont des idées et qui font des choses, qui se lancent, mais qui ont aussi besoin de méthodologie d'accompagnement, d'un regard extérieur. Donc cela, ils ont besoin d'un cadre.

Et puis il y a des innovateurs plutôt passifs. Des innovateurs en puissance qui peuvent être dans l'hôpital, et cela, il faut les animer, venir les chercher, venir les faire contribuer. Finalement plutôt par manque de temps, manque d'expérience ou peut-être pudeur, ils ne vont pas se mettre dans une démarche d'innovation et eux, on peut et on doit les accompagner.

Quels verrous lever pour faciliter le développement de l’innovation ?

J'ai plutôt des questions, parce que je ne suis pas forcément un expert, mais quand je dis que l'hôpital doit s'ouvrir, trouver des personnes différentes, d'horizons divers. Il faut que, en termes de contrats, entre des contractuels, des agents de la fonction publique, les directeurs d'hôpitaux, on trouve le bon équilibre, pour avoir des profils variés. À la fois des personnes qui viennent de l'Interne et aussi, qui viennent de l'externe. Donc, est ce que ça, c'est possible ? C'est plutôt une question que je pose.

Et la deuxième, qui est vraiment une conviction, c'est je pense qu'il faut des budgets, mais au-delà. Ce n'est pas au niveau de l'hôpital que ça se passe. Mais un vrai budget pour l'innovation à l'hôpital demain et pour permettre de digitaliser l'hôpital. Aujourd'hui, on n'est pas les moyens de nos ambitions.