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Entretien avec Juliette Daeschler

Directrice des affaires médicales, de la recherche et de l’innovation - GHT Navarre Côte Basque

Retranscription de l'entretien


Pourriez-vous vous présenter et présenter votre parcours ?

Bonjour, je m'appelle Juliette Daeschler, je suis directrice adjointe au Centre Hospitalier de la Côte Basque, chargée des affaires médicales, de la recherche et de l'innovation.

J'ai pris mon poste en janvier 2023, ça fait un an et demi. Et auparavant je travaillais à Paris, au ministère de la santé et au ministère des affaires étrangères sur la coopération internationale en santé.

Quelle est votre définition de l'innovation ?

L'innovation, pour nous, pour un établissement de santé, c'est de répondre à un besoin des professionnels ou des usagers en y apportant une solution qu'on a défini collectivement et qui apporte de la nouveauté, soit à travers nos organisations, soit à travers une technologie ou d’un nouveau médicament.

Quelle est votre définition du management de l'innovation ?

Le management de l'innovation, pour nous, c'est d'essayer de structurer la démarche d'accompagnement de l'innovation. D'abord l'innovation interne : comment on stimule et puis ensuite, on canalise les idées des collaborateurs pour en faire des projets.  

Il y a aussi le management de l'innovation externe : là c'est un travail de veille qu'on effectue nous pour pouvoir intégrer de l'innovation, dans organisations et dans nos établissements.

Comment a été menée la création de cette direction innovation ?

Alors la direction, elle a été créée à mon arrivée en janvier 2023 : c'était une volonté du directeur et de la présidente de CME de soutenir institutionnellement ce sujet-là. Et d'ailleurs comme vous l'avez dit, on en a fait un axe fort de notre projet d'établissement.  

Donc comment on l'a créé ? D'abord on a essayé de regarder un peu ce qui se faisait ailleurs, d'abord dans les établissements de référence à la matière en CHU, qui peuvent nous apporter de l'expertise et nous aider mais comme les contextes et les moyens sont bien différents entre un Centre Hospitalier Universitaire et des Centres Hospitaliers comme ceux de notre GHT, évidemment on s'adapte et on fait aussi avec les moyens, petit à petit.

La création de cette direction a-t-elle été comprise par vos collaborateurs ?

Oui je pense. Ça a suscité quand même des interrogations : est-ce qu'un centre hospitalier est innovant et doit se doter d'une direction de l’innovation ? Quel allait être son périmètre à cette direction ? Est-ce que ça voulait dire qu'avant on n'innovait pas dans l'établissement ? 

Voilà il y a eu des questions un petit peu comme ça mais globalement on a essayé d'y répondre, on continue d'essayer d'y répondre parce qu'on est encore en train de se structurer.

Quels sont les principaux avantages de la création de cette direction innovation ?

Aujourd'hui, j'en identifie plusieurs. Déjà, il y avait déjà une démarche, déjà des projets innovants au sein du GHT et en fait la direction permet de les valoriser, de les mettre en lumière et puis aussi de faire connaître au sein même de nos organisations, d'une équipe à une autre, ce qui se fait dans un service, donc ça nous enrichit en interne.

Et en externe ça nous a aussi permis de rencontrer beaucoup plus d'interlocuteurs de notre écosystème en local, en régional, en national, pour voir ce qui se fait ailleurs et pour nous aussi être identifié comme un potentiel partenaire pour des projets innovants.

Existe-t-il des liens entre la direction de l’innovation et celle de la recherche ?

Il y a des grandes dynamiques puisque c'est une seule direction chez nous. En Centre Hospitalier, on a souvent des directions fonctionnelles avec périmètre assez large. Donc comme je disais, je suis à la fois directrice des affaires médicales, de la recherche et de l'innovation. Donc forcément ça crée du lien puisqu'on est des petites organisations où les mêmes personnes ont plusieurs casquettes. Après la réalité c'est qu'aujourd'hui dans cette direction, la majorité des personnels sont dédiés à l'activité de recherche et côté innovation, on commence seulement à se structurer. Donc les liens sont évidents mais on voudrait ne pas complètement fondre les deux équipes et les deux sujets parce qu'on considère qu’il y a des synergies, mais que les interventions, le rythme de la recherche et de l'innovation sont très différents et qu’il faut deux équipes.

Quel est son positionnement au sein du GHT Navarre Côte Basque ?

Alors oui effectivement, on essaie au maximum de structurer les choses au niveau du GHT sur la recherche et l’innovation, mais sur l'ensemble des directions fonctionnelles plus largement. On est un GHT assez intégré avec une direction commune sur l'ensemble des établissements, donc ça nous aide beaucoup et ça nous engage aussi à travailler pas seulement là où on vient travailler physiquement mais en ayant toujours un œil sur ce qui se fait dans les autres établissements. 

Concrètement sur la recherche et l'innovation aujourd'hui, c'est quand même le Centre Hospitalier de la Côte Basque l’établissement support qui est le navire, qui a le plus en tout cas sur la recherche d'activités mais sur l'innovation, par exemple, on a des projets qui se développent sur d'autres établissements. Notre établissement public de santé de Garazi a été lauréat d'un appel à projet européen avec des partenaires espagnols et français sur un projet d'organisation d'innovation organisationnelle pour revoir la manière dont on délivre les soins de rééducation aux personnes âgées dans les territoires ruraux. Pour moi concrètement ça veut dire que je me déplace évidemment, j'y vais et puis je travaille avec les équipes médicales et la direction déléguée sur site qui sont les relais, qui sont sur le terrain tous les jours dans les autres établissements.

Quels sont les objectifs de votre direction de l’innovation ?

On a fixé quelques objectifs. Le premier objectif c'était de réfléchir à la démarche, de la structurer. Donc ça c'est un objectif qui est au long cours puisque je considère qu’on n’est pas encore mûr dans notre organisation. Comme je l'ai dit, on y va petit à petit, le premier objectif c'était voir ce qui se fait ailleurs, comment ça pourrait s'adapter chez nous, qu'est-ce qu'il y a de spécifique chez nous ? J'ai déjà parlé du fait qu'on était dans un GHT intégré donc ça je pense que par exemple, c'est quelque chose dont on doit tenir compte et qu’on ne retrouvera pas forcément dans tous les autres établissements.  

Le deuxième objectif de diffuser une culture de l'innovation en interne puisqu’il y a des niveaux de de sensibilité, d'acculturation très hétérogènes en fonction des équipes : l'idée c'est d'insuffler un peu ce ça de manière transversale et de ne pas travailler qu’avec ceux qui le font déjà, de mettre le pied à l'étrier à d'autres. Par exemple cette année, on a consacré notre journée annuelle des managers à la thématique de l'innovation et on a rencontré un certain succès un intérêt je pense de la part des participants. 

Le troisième objectif c'était de créer du lien avec l'écosystème : voir quelles sont les forces en présence en local, régional, national, comment on peut s'appuyer sur ce qui existe déjà dans un secteur qui est quand même dense et complexe à appréhender ? Et nous mettre aussi sur la carte et être considéré pouvoir être contacté pour des projets, des partenariats.

Comment est organisée la gouvernance de votre direction de l’innovation ?

Alors la direction c'est une direction fonctionnelle comme toutes les autres directions du GHT, même si le sujet est éminemment transversal et que je m'appuie beaucoup sur les collègues et les équipes des autres directions. Après on a récemment structuré une gouvernance recherche et innovation : on a mis en place un comité stratégique recherche et innovation, composé de médecins et de soignants qui ont pour mission de définir notre stratégie médico-soignantes et nos priorités en termes de recherche et d'innovation. Ce comité s'appuie aussi sur un système de correspondant recherche et innovation dans chacun des pôles : on a fait un appel à candidature pour qu'il y ait une personne qui soit notre référent recherche et innovation dans les pôles, qui puisse être notre porte d'entrée et qui puisse aussi nous faire remonter les informations et les projets de chaque pôle et de chaque établissement du GHT.

Quel est le positionnement de cette direction de l’innovation vis-à-vis de son écosystème territorial ?

On essaie comme je le disais de bien s'implanter dans l'écosystème et d'en tirer tous les parties et les avantages qu'on peut. On travaille beaucoup avec la communauté d'agglomération Pays Basque qui a une politique très volontariste de soutien à l'innovation, de développement économique du territoire. Et donc nous dans ce cadre on considère qu’on a notre carte à jouer, aussi pour accompagner cette démarche, par le fait que notre établissement peut être un facteur d'attractivité, peut fournir une expertise scientifique, médicale, soignante sur des projets d'entrepreneurs qui voudraient s'installer. Et puis on travaille aussi, on crée du lien avec les établissements d'enseignement supérieur : l'université de Pau et des pays de l’Adour, l'école d'ingénieur ESTIA sur le territoire, qui sont aussi des acteurs clés de l'innovation.  

Donc ça c'est pour le local et après on travaille aussi en en régional avec notre CHU de référence : le CHU de Bordeaux avec qui on a plusieurs projets en partenariat. On est membre du cluster innovation en santé de la région.

Comment est-elle organisée et quels sont ses moyens ?

Alors comme on est encore au début, on est on n'est pas très nombreux dans la direction mais on se structure et on est agile. Donc il y a moi qui a une part de mon temps consacré à l'innovation, on a créé en janvier 2024 un poste de coordonnatrice médicale recherche et innovation avec qui je travaille étroitement : c'est le docteur Julie Boussuge qui gère toute la partie recherche clinique et qui m'appuie aussi sur la partie innovation. Après on travaille pour l'instant avec les bonnes volontés de l'établissement, les collègues des autres directions fonctionnelles, la direction notamment du numérique surtout les projets d'innovation numérique, aussi les finances etc. Et puis on a des relais comme je disais au sein des pôles : des médecins, des soignants qui sont porteurs de la démarche. Comme on le disait l'innovation à l'hôpital elle est partout et donc je travaille par exemple avec la direction des ressources humaines pour tout ce qui est porte sur l'innovation managériale, avec la direction des soins sur l'innovation organisationnelle donc l'idée ce n’est pas de recréer un silo supplémentaire, c'est bien de de se mettre en musique avec les autres acteurs.

Vous êtes-vous inspirés d’un ou plusieurs autres modèles ?

Alors, on a fait effectivement un peu de veille au début, et on continue d'ailleurs. C'est un peu un travail qu'on mène tout du long, mais qui prend du temps aussi. On n’a pas tout le temps le temps, on ne prend pas suffisamment le temps, je trouve, de se sortir la tête du guidon et de regarder ce qui se passe ailleurs. Donc on essaie de s'y astreindre. 

On n’a pas suivi un modèle particulier. Comme je l'ai dit tout à l'heure la référence c'est les CHU mais on n’a clairement pas les mêmes moyens, donc moi j'ai essayé aussi de contacter des collègues de Centres Hospitaliers qui ont mis en place des démarches plus ou moins similaire : on voit qu'il y a quand même pas mal d'approches différentes ; est-ce que l'innovation on l'associe à la recherche ? Est-ce qu’on l'associe peut-être plus à la qualité ou à l'expérience patient ? Il y a plein de modèles différents, on s'adapte, on crée le nôtre avec le côté territorial et puis aussi avec l'idée qu’on commence petit, donc on ne met pas forcément du jour au lendemain en place tout ce qu'on voudrait ou tout ce qu'on voit ailleurs, et on y va étape par étape en fonction de nos moyens et du temps qu'on a y consacré.

Vous êtes-vous également inspirés d’organisations industrielles ?

Alors en toute honnêteté, ça n’a pas été un réflexe premier, mais par contre ça vient petit à petit comme je disais en structurant nos partenariats avec l'écosystème local et notamment les entreprises du territoire, je suis de plus en plus amenée, nous sommes de plus en plus amenés à échanger avec des directions de l'innovation de ces entreprises et je me rends compte que c'est très enrichissant. D'abord comme c'est des entreprises du secteur, ça les intéresse, c'est gagnant gagnant, parce que ça leur permet aussi d'avoir accès à l'expertise médicale, au retour finalement sur leurs produits de manière assez directe et assez simple. Et nous en échange, si on peut le dire comme ça, c'est des gens qui sont très ouverts et qui ont beaucoup à nous apporter sur effectivement le management de l'innovation, qui est essentiel dans leur modèle d'entreprise et qui nous inspirent.

Depuis sa création, commencez-vous à observer des effets positifs pour votre établissement ?

Oui je pense qu'on on voit déjà des effets positifs. On voit déjà que le fait de structurer et d'afficher ça vis-à-vis des équipes, il y a des choses en interne qui nous remontent qui ne serait peut-être pas remonté auparavant. Il y a aussi des gens qui ont déjà mené des démarches innovantes à leur niveau et qui l'avaient peut-être gardé pour eux et qui aujourd'hui se rendent compte qu’ils s'inscrivent dans une politique institutionnelle et que ça peut ça peut servir à d'autres, ça peut être valorisé, ça peut être connu. 

Le deuxième avantage que j'y vois, c'est l’idée d'avoir identifié d'avoir un poids focal, d'avoir une petite pancarte innovation pour l'extérieur, pour les partenaires : ça nous rend plus visible, on vient plus nous chercher je trouve, sur des projets, sur des collaborations donc c'est ça aussi qui nous donne l'élan et qui va nous permettre aussi de continuer à structurer et à grandir.

Quelles sont vos prochaines échéances importantes ?

Alors on avait une grosse échéance récemment avec notre séminaire annuel pour tous les cadres médecins, administratifs, techniques et logistiques du GHT, avec cette journée annuelle consacrée cette année à l'innovation.  

Après les prochaines étapes que je vois, c'est la poursuite de la structuration avec peut-être à moyen terme l'identification d'un poste de chef de projet chargé de mission innovation. On a aussi dans le cadre de notre partenariat avec le CHU de Bordeaux, des projets qui vont se mettre en place avec Station Esanté qui est tiers lieu d'expérimentation en santé numérique. On était lauréat de la première vague et on va je pense d'ici la fin de l'année commencer à vraiment intégrer les premiers tests d'expérimentation au sein de nos de notre établissement. Donc ça va concrétiser un projet dont on parle maintenant aux équipes depuis deux ans, et là d'ici la fin de l'année, ils vont pouvoir vraiment tester les solutions numériques. Donc ça je pense que ça sera une belle étape, un bel objectif.  

Et puis je dirais qu’il y a une prochaine étape qui est vraiment de peut-être être encore plus et mieux identifié au sein de chaque établissement de notre GHT.

Pour mettre en place une direction innovation, quels sont les facteurs clés de succès ?

Alors les facteurs de succès, je dirais qu'il faut être bien conscient de son environnement, des forces en présence à la fois en interne et en externe pour savoir sur qui on va pouvoir s'appuyer pour les forces et sur quoi il va falloir lever les freins en premier sur justement une méconnaissance de ce qu'est l'innovation en interne ou des résistances au changement ou des doutes. Donc ça c'est un premier point, le diagnostic initial de son contexte. 

Le deuxième facteur de succès je pense, c'est que ça soit une démarche qui soit soutenue par la direction générale, ce qui est généralement le cas puisque c'est la direction qui décide ou pas de créer et de mettre en place une démarche innovation. Mais il faut il faut que ce soutien il soit assez long dans le temps parce que de mon expérience, ce n'est pas quelque chose qu'on fait en claquant des doigts, donc il faut que les acteurs, la gouvernance ait en tête que c'est une structuration long cours et que le soutien doit être long cours.

Si vous deviez recommencer, que feriez-vous différemment ?

Je pense que j'essaierai de faire encore plus de benchmark, de repérage de ce qui se fait ailleurs. On l'avait fait mais je pense qu’on ne le fait jamais assez, de voir aussi peut-être pas ce qui se passe seulement en France, peut-être plus à l'international. Après de toute façon, il faut se lancer et il faut accepter qu’on ne fasse pas exactement les choses comme on le voulait mais l'important c'est que les choses soient faites et on avance en marchant.

Quel est le meilleur argument justifiant la mise en place d’une direction de l’innovation ?

Il y a plein d'arguments en faveur de l'identification de l'organisation. Je pense que le premier c'est que si on ne le fait pas, on reste dans un entre deux où l'innovation, c'est un peu partout mais du coup nulle part et personne ne l'incarne et même si l'innovation est partout, c'est intéressant d'avoir une incarnation pour soutenir la démarche justement de tous.

Personnellement, qu’est-ce que cette aventure vous a-t-elle apportée ?

C'est ultra stimulant de prendre son poste et devoir structurer une direction de l'innovation dans le même temps. C'était un beau défi et ça m'a apporté c'est beaucoup de rencontres en interne et en externe et des échanges avec des gens qui ont envie, qui sont motivés. C'est un défi de partir d'une feuille blanche, ça peut donner un peu le tournis ou le vertige mais être bien accompagnée, faire toutes les rencontres que j'ai eu l'occasion, l'opportunité de faire depuis que je me suis lancée, ça aide justement à avoir moins le vertige.