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En plus du modèle de direction innovation proposé dans le Guide, Hospi'Up donne la parole aux acteurs de l'innovation en santé. Au travers des Entretiens Hospi'Up, explorez d'autres modèles d'organisations hospitalières dédiées au management de l'innovation et découvrez le point de vue d'acteurs économiques travaillant auprès des établissements sanitaires et médico-sociaux.

Entretien avec Eric Vibert

PU-PH et co-fondateur - Chaire innovation BOpA

Retranscription de l'entretien


Pouvez-vous vous présenter ?

Alors je suis le professeur Eric Vibert, je suis PU-PH à l'université Paris-Saclay, je travaille au centre Hépato-Biliaire à l'hôpital Paul Brousse à l'AP-HP et je fais partie aussi des personnalités qualifiées santé 2030 et je suis donc le créateur de la chaire BOpA pour l'AP-HP.

Quelle est votre définition de l'innovation ?

L'innovation, c'est finalement la rencontre d'un usage avec une invention. C'est pas tout à fait pareil que la recherche puisque la recherche finalement, c'est souvent l'invention et là c'est l'idée, c'est de trouver l'usage dans l'invention et le sujet c'est est-ce que une innovation est toujours synonyme de progrès : on espère si le mot est différent, c'est peut-être parce qu'on n'est pas toujours sûr que ça soit synonyme des progrès c'est pour ça qu'il faut évaluer l'innovation et pas considérer que c'est systématiquement un progrès.

Quelle est votre définition du management de l'innovation ?

Justement le management de l'innovation, c'est quelque chose qui va permettre d'évaluer si les usages sont adaptés à l'invention. Donc le management de l'innovation, c'est de réfléchir à l'intégration au sein d'un environnement professionnel par exemple, d'une invention. Typiquement on travaille autour de la chaire innovation BOpA dans le domaine du numérique au bloc opératoire et on évalue si des usages du numérique au bloc opératoire sont adaptés à la sociologie du bloc opératoire. Donc, manager l'innovation c'est travailler non seulement sur le caractère technologique mais aussi sur le caractère humain, typiquement l'anthropologie de la sociologie autour de ce qu'il y a dans l'innovation. Et sinon le management de l'innovation ca demande d'avoir un spécialiste du sujet donc c'est pas uniquement des docteurs, des professionnels, c'est aussi des gens qui savent structurer les projets, qui savent structurer les connexions avec des entreprises, qui savent structurer le réglementaire donc c'est un vrai métier en soit le management de l'innovation, qui doit se faire avec des gens qui comprennent ce que c'est.

Pourquoi avoir créé la chaire innovation BOpA ?

jJ'ai mis en place cette organisation parce qu'on a l'hôpital public enfin l'Assistance publique des hôpitaux de Paris, qui est une structure énorme dans lequel il y a plus de 200 000 opérations par an, il y a des milliers de chirurgiens, des milliers d'anesthésistes et finalement il y avait pas un lieu dédié à l'innovation autour du bloc opératoire. Bloc opératoire au sens large ça veut dire pas uniquement les chirurgiens, les chirurgiens, les anesthésistes et le paramédical. Il fallait inventer quelque chose qui permette de réfléchir au futur du bloc opératoire et donc en fait la chaire BOpA a été inventéz à la suite du week-end de l'innovation chirurgicale dans lequel on a réfléchi avec plusieurs professionnels à ce que serait potentiellement l'avenir du bloc opératoire et il a fallu passer de la réflexion à l'action et on a créé cette chaire innovation BOpA pour essayer justement de répondre à des questions et essayer de trouver des solutions avec les professionnels du bloc. Et pourquoi ça fonctionne je crois, c'est parce que on a réussi justement à faire quelque chose qui est pas uniquement de la technologie c'est de la technologie et de l'humain, avec cette approche très entrepôt sociologique du bloc opératoire pour voir comment s'intègre des innovations numériques au bloc opératoire. Typiquement est-ce que il est envisageable de pouvoir enregistrer tout ce qui se passe au bloc opératoire ? Est-ce que les gens sont d'accord et ou pas et comment on va utiliser ces informations ? Donc pourquoi ça a fonctionné aussi, c'est parce que je pense que depuis des années on confond à l'AP-HP, dans les hôpitaux au sens large et au CHU en particulier, la recherche et l'innovation. C'est pas tout à fait pareil comme on l'a vu et les médecins, les cliniciens, finalement, ont plus de facilité à innover qu'à faire vraiment de la recherche aujourd'hui. Pourquoi ? Parce que la recherche est de plus en plus compliquée. La recherche biomédicale en particulier est de plus en plus compliqué de plus en plus longue nécessite des collaborations très importantes avec des chercheurs au sens traditionnel du terme, typiquement des gens qui travaillent dans les laboratoires INSERM, finalement c'est beaucoup plus long pour certains jeunes cliniciens qui assez facilement se lancent en revanche dans l'innovation, parce que c'est quelque chose qui est plus court terme et qui intéresse le terrain plus rapidement. Donc j'ai fait aussi ça pour donner la possibilité à des gens qui ne sont pas obligatoirement des hospitalo-universitaires, de pouvoir faire des choses pour faire avancer la science aussi et puis les usages comme on le disait, avec la possibilité de s'adresser à des praticiens hospitaliers à des paramédicaux qui plus facilement vont faire de l'innovation finalement que de la recherche, même si des praticiens hospitaliers font aussi de la recherche mais en tout cas, il y a un vrai sujet de capacité à faire qui finalement devient plus simple aujourd'hui dans le domaine de l'innovation qu'elle ne l'est dans le domaine de la recherche qui devient de plus en plus complexe.

Quel a été l’élément déclencheur ?

Alors l'élément déclencheur de la chaire innovation BOpA ça a été vraiment ce week-end de l'innovation chirurgicale dans lequel on a réfléchi au futur de la chirurgie. Au départ c'est vraiment un groupe de gens, un groupe d'amis qui se disent on va se mettre un petit peu à l'écart de la folie quotidienne en prenant deux jours, deux jours et demi, et on va réfléchir autour de tableaux rondes, autour d'ateliers de design thinking, au futur du bloc opératoire et c'est à la suite de ces réflexions qu'on a créé la chaire BOpA.

Comment vos collaborateurs ont-ils accueilli cette décision ?

Au début, toujours avec un point d'interrogation et des gros yeux parce que je suis pas tout à fait dans la norme, et donc il y avait pas de malveillance, il y avait plutôt de la bienveillance mais on va voir ce que ça va donner que ce machin. Et puis l'idée a quand même été d'être accompagné très rapidement par un spécialiste de l'innovation qui est Enguerrand Habran, qui travaillait au Fonds innovation FHF, qui m'a aidé à structurer avec moi la chaire BOpA qui maintenant parfaitement connue au sein de l'Assistance publique, au sein de l'Université Paris Saclay et donc aujourd'hui ça fonctionne plutôt très très bien.

Vous êtes-vous inspiré d’autres modèles ?

Je me suis inspiré d'autres modèles : en France, pas vraiment. On peut imaginer que j'ai pensé à des choses comme ce qui se passe à Strasbourg qui est une belle entité autour d'innovation, mais je crois que, la particularité de ce qui s'est passé à l'IHU Strasbourg, c'est de travailler très précisément sur la technologie, et nous notre objectif ça n'a pas été faire que de la technologie, ça a été de faire de la technologie et de l'humain. L'idée est de faire plus de l'intelligence augmentée que l'intelligence artificielle. L'idée n'est pas d'expliquer aux gens qui vont se faire remplacer par des machines mais de se faire augmenter par les machines donc il y avait vraiment cet objectif qui était aussi d'aller vers l'apport des sciences humaines et sociales à la technologie, donc c'est ça qui a été vraiment la grande différence et je pense que c'est pour ça que ça marche plutôt pas mal.

Existe-t-il nécessairement un continuum entre la recherche et l'innovation ?

Non, il n'y a pas nécessairement un continuum entre la recherche et l'innovation parce que l'innovation peut se faire en conséquence de l'analyse d'une erreur, une presque erreur. Alors c'est vrai aussi dans le domaine de la recherche mais la recherche, il y a un objectif qui est de comprendre, et de comprendre ce qu'il y a derrière le premier niveau de compréhension etc etc. Donc c'est souvent un peu la différence entre la recherche et l'innovation, c'est aussi ce caractère utilitariste à court terme. Donc évidemment, il y a souvent un lien entre la recherche et l'innovation et comme on le disait au début, l'innovation c'est un usage pour une invention et l'invention est dans un certain nombre de cas, la conséquence de la recherche mais pas toujours parce que l'invention peut-être la conséquence d'une erreur ou une presque erreur qui peut être faite par n'importe, pas obligatoirement un chercheur, et la particularité justement de cette invention, ça va être la capacité qu'a le professionnel à tirer profit du hasard, à tirer profit de cette erreur pour en faire quelque chose de nouveau. C'est pour ça que j'ai aussi une vraie réflexion autour de notre transformation du rapport à l'erreur qui permet de découvrir des choses, donc voilà pas nécessairement à continuum mais un peu quand même.

Quels objectifs avez-vous fixé à la chaire innovation BOpA ?

L'objectif de BOpA c'est d'être vraiment une structure tout à fait transformante autour de l'innovation bloc opératoire, qui évidemment doit dépasser l'hôpital Paul Brousse. On est vraiment sur quelque chose qui est une structure qui est institutionnelle, qui est même je l'espère régional et j'espère national voire plus. L'idée c'est vraiment de pouvoir réfléchir à une méthode autour de la captation des données au bloc opératoire, pour pouvoir faire de la planification, du suivi, de l'analyse post-opératoire donc l'objectif de BOpA, c'est d'être extrêmement transformant pour la chirurgie au sens large et qui j'espère dépassera l'Assistance Publique.

Comment est positionnée la chaire innovation BOpA au sein de l'établissement ?

Alors aujourd'hui la chaire innovation BOpA, c'est quelque chose qui a été créé dans une collaboration entre l'AP-HP, l'Institut Mines Télécom et l'Université Paris-Saclay. Ce sont associés à ces trois entités l'INRIA et la chaire humanité santé avec Cynthia Fleury et aujourd'hui la chaire BOpA rayonne dans l'ensemble de l'Assistance Publique, avec évidemment des endroits où on est plus présent. Je pense à l'hôpital Cochin je pense à l'hôpital Lariboisière, je pense à la future école de chirurgie de l'hôpital Brousset et clairement il y a un rayonnement, une diffusion qui se fait. Il y a aussi une diffusion qui se fait autour de là où je travaille, le centre hépato-biliaire, en particulier avec l'hôpital Marie Lannelongue, avec l'hôpital de Gustave Roussy, au sein de l'Université Paris Saclay donc il y a clairement des gens qui s'inspirent de ce qu'on fait, avec un objectif aussi qui est de répliquer un modèle qui marche. Alors la gouvernance de BOpA c'est quelque chose qui implique les mécènes, puisque on a aujourd'hui une chaire BOpA qui vit grâce à la Fondation AP-HP et à la fondation Mines Télécom et aussi un petit peu grâce à l'Université Paris Saclay même si la structure avec la Fondation Université Paris Saclay est moins claire aujourd'hui, et évidemment ces mécènes sont au comité de pilotage et ont donc aussi une voix pour décider avec nous des orientations de la chaire. Ca se passe absolument bien, il y a pas de sujet mais en tout cas il y a aussi une gouvernance qui est là et puis il y a évidemment un représentant de chaque entité académique : l'université Paris-Saclay l'AP-HP et l'INRIA et la chaire humanité santé avec moins de rôle dans l'addition mais il y a un comité de pilotage avec des gens qui se réunissent à peu près tous les six mois. On essaye d'en faire deux par ans pour justement donner les grandes lignes de la chaire BOpA qui sont organisent autour de différents blocs.

Quel est le rôle de votre CHU au sein de son écosystème économique ?

Le rôle de BOpA vis-à-vis de l'écosystème économique, c'est de pouvoir apporter aux entreprises, que ce soit les startups, des petites ou des grosses entreprises, la possibilité de pouvoir évaluer justement, si leurs inventions retrouvent des usages. Donc clairement on a pour vocation d'être un lieu d'évaluation et je pense que il y a aussi un sujet à mettre en place avec potentiellement des fonds d'investissement, qui sont des acteurs de l'écosystème économique qui vont potentiellement investir dans des entreprises petites ou grandes que l'on aura évalué positivement évidemment, à la lumière aussi des données de l'Assistance Publique, médicale, paramédical, et on va s'appuyer aussi sur le rayonnement de l'Assistance Publique pour justement pousser des entreprises :entreprises qui sont nées au sein de l'Assistance Publique ou qui sont rentrées par la porte BOpA au sein de l'Assistance Publique. L'idée c'est de dire que l'innovation est aussi une méthode pour garder les gens à l'hôpital public. Il faut que l'AP-HP mais aussi les gens qui travaillent tirent un profit intellectuel et financier des lieux d'innovation comme BOpA.

Quels impacts la chaire innovation BOpA a-t-elle eu sur votre établissement ?

Un impact important, je crois, parce qu'on a été accompagné par la direction locale au départ clairement, Christophe Cassel pour ne pas le nommer, qui nous a aidé à avoir un lieu physique qui est au sein de Paul Brousse. Ensuite Martin Hirsch nous a accompagné, nous a aidé, pour que ça puisse se développer. Et puis aujourd'hui Nicolas Revel est venu visiter la chaire innovation BOpA très rapidement après son arrivée à l'Assistance publique donc on voit qu'il y a vraiment une compréhension de la part de la direction de l'AP de l'intérêt que peut avoir des lieux l'innovation. Et évidemment l'objectif c'est que BObA puisse ensuite faire des petits, si j'ose dire, dans l'AP. On a récemment déposé un tiers-lieux expérimentation numérique dont on n'a pas encore aujourd'hui la réponse, mais c'est tout à fait l'objectif. L'objectif c'est de pouvoir trouver des moyens qui viennent justement de l'État pour avoir du personnel pour pouvoir structurer l'innovation dans le bloc opératoire, pas uniquement à Paul Brousse, mais dans l'ensemble de l'AP et avec des collaborations fortes avec la future école de chirurgie. Donc clairement une aide et une compréhension de la part de l'institution au plan administratif de l'intérêt que peuvent avoir des choses comme BOpA.

Par rapport à ce que vous avez mis en place, votre réfexion a-t-elle évolué ?

Alors ma réflexion initiale a évolué sur le fait qu'il faut beaucoup de temps et beaucoup beaucoup d'énergie pour arriver à faire quelque chose comme ce qu'on a réussi à faire et que ça peut pas se faire seul. En fait j'ai commencé seul et d'emblée il fallait avoir une ou deux personnes quasiment temps plein pour pouvoir avancer plus vite : on a été on était submergé de travail dès le début et on a travaillé de manière délirante. Donc il faut avoir du personnel d'emblée ça je pense qu'on ne s'est pas assez staffé dès le départ. Et puis on a mis en place au cours du temps des méthodes avec des tableaux de bord, avec des méthodes d'innovation au plan réglementaire avec des contrats avec les différentes entités, qui là aussi se sont mis en place au cours du temps : en fait ces contrats on aurait dû aller très rapidement dans la structuration.

Selon vous, quels sont les facteurs clés de succès ?

Les facteurs clés de succès, c'est qu'on soit capable au sein d'une institution d'embarquer l'ensemble de l'institution. Il faut vraiment, déjà ne pas faire un truc uniquement hospitalocentré, il faut aller voir l'université, il faut aller voir les écoles d'ingénieurs, il faut la voir les lieux de recherche comme l'INRIA par exemple, pour d'emblée proposer quelque chose de très large. Ensuite il faut faire rentrer très rapidement des gens qui font justement des sciences humaines et sociales, pour pouvoir comprendre comment tout ça fonctionne avec un peu de recul et puis pour justement nous corriger, nous docteurs, si on va pas dans la bonne direction. Je pense que cette capacité aussi à discuter avec des sociologues, des anthropologues, nous donne cette capacité à nous regarder fonctionner, peut nous améliorer même dans le domaine de l'innovation. Le dernier point, c'est qu'il faut savoir très rapidement changer de méthode si ça marche pas. Il ne faut pas s'entêter, il faut essayer un truc et puis pas passer des années à essayer d'y arriver si ça marche pas vite, rapidement. Si on n'embarque pas rapidement les gens, il faut pas le faire et évidemment, il faut essayer de ne pas répliquer ce qui se passe dans votre environnement parce que sinon vous allez vous retrouver en compétition et ça ne va pas marcher.

Si vous deviez recommencer, que feriez-vous différemment ?

Ca va être un peu prétentieux ce que je vais dire, mais je pense que je ferai un peu pareil parce que finalement on a eu de l'audace, on a fait le truc, et puis on a été lucide lorsqu'on s'est planté. On s'est dit bon, c'est planté et puis on change. Donc je pense que finalement je ferai pas beaucoup différemment et puis je continuerai à éviter de gâcher le présent pour un hypothétique futur, c'est à dire que je vais toujours avec un espèce d'optimisme, peut-être un peu pathologique, mais qui fonctionne assez bien : qui consiste à dire "on va essayer puis ça va marcher". Souvent ça marche, puis des fois ça marche pas et on s'est planté, puis on fait autrement.

Selon vous, pourquoi est-il nécessaire d'organiser le management de l'innovation ?

Il faut réinventer l'hôpital public pour éviter que les gens ne fuit l'hôpital public, parce que c'est important que le système de santé ne devienne pas privé dans quelques années.

Pensez-vous que les innovateurs ont besoin d'être accompagnés ?

Alors je pense que les médecins au sens large, même le personnel de santé au sens large, a besoin d'être accompagné, déjà pour comprendre la différence qu'il y a entre la recherche et l'innovation, puisque ça a pas été bien clair dans la tête des gens depuis très très longtemps et ça commence maintenant à se clarifier. Mais il y a clairement nécessité au départ de bien définir ce que c'est qu'un innovateur et que les gens comprennent bien que ça peut venir de n'importe où:  c'est pas obligatoirement réservé aux PU-PH, c'est réservé à tout le monde c'est-à-dire du paramédical et du médical par exemple. Ca c'est le premier point, c'est un problème de définition. Après l'autre élément, c'est de savoir comment on va organiser les choses, et en particulier, comment on va travailler avec des entreprises parce que force est de constater qu'il est très difficile d'avoir des innovations qui arrivent vraiment à devenir des choses qui existent, sans que ça soit un moment ou un produit. Donc dans 90% des cas l'innovation va s'associer à une création de valeur, soit directement, soit indirectement mais en tout cas il y a souvent un sujet de discussion un peu business et là je pense que il y a un véritable effort à faire dans le domaine de l'éducation, en particulier de l'éducation des jeunes docteurs pour que les gens comprennent ce que c'est qu'une licence, une propriété intellectuelle, un marché public, un fonds d'investissement, pour qu'on soit capable de faire mieux que ce qu'on fait jusqu'à présent où vous avez d'un côté les gens qui font du business et de l'autre côté les gens qui sont docteurs, avec en plus un problème. Ca crée un phénomène de défiance qui est absolument terrible et aujourd'hui les deux gros problèmes je trouve de notre pays dans le domaine de l'innovation au sens large même, ça dépend ça dépasse la santé, mais c'est particulièrement vrai dans la santé, c'est ce principe de précaution qui est vraiment est terrible et je pense c'est évidemment il faut être prudent, mais faut vraiment se dire que notre métier ça repose quand même sur de l'audace et on n'est pas fou donc il faut faire confiance aux gens donc je trouve que ce principe de précaution est terrible. L'autre élément c'est cette défiance qui fait que on ne se fait pas confiance : on sait pas confiance entre académique et privé et même malheureusement entre les différents académiques. Je crois vraiment qu'il faut travailler là-dessus et que ça soit l'Académie, que ça soit le privé il faut comprendre aussi une chose, qui est ce principe d'incertitude. On sait pas ce que ça va donner mais on va essayer, on verra bien et je pense que là dessus, prendre un risque en français, c'est pas la même définition que "Take a risk" en anglais, et ça illustre vachement bien là je trouve la différence de vision de choses qu'on a.

De quoi les hospitaliers ont-ils besoin pour innover ?

Les hospitaliers ont besoin d'avoir des gens qui leur expliquent ce que c'est l'innovation, avec des directeurs opérationnels pour la chaire BOpA, on a eu un et on va avoir un deuxième directeur opérationnel. Il y a vraiment besoin d'être encadré avec des gens qui sont sur site, pas dans des bureaux loin des lieux de soins, donc ça je pense que c'est important, c'est des gens sur site qui sont des spécialistes de l'innovation dont on parlait au début de cet entretien et l'autre élément c'est qu'on a besoin d'avoir du temps, d'avoir la possibilité aussi de valoriser sur le CV par exemple, cette activité d'innovation. Aujourd'hui dans des cursus hospitalo-universitaires, on valorise beaucoup des papiers, on va aller beaucoup de la recherche traditionnelle, mais finalement assez peu de l'innovation ou de l'investissement pour l'institution. Il faut que les CNU, il faut que les doyens comprennent que l'activité innovation doit être quelque chose qui est valorisé, autant que certains papiers qui sont pas toujours de très très grandes qualités, parce que aujourd'hui, il y a une espèce de règle qui font que les gens écrivent des quantités de papier qui sont pas toujours de très bonne qualité, plutôt que pousser des innovations qui peuvent être utiles pour l'ensemble de l'institution.

Quels verrous lever pour faciliter le développement de l'innovation ?

Oui je pense qu'il y a un sujet autour des marchés publics. Je crois qu'il y a une vraie réflexion à avoir là-dessus parce qu'il y a des innovations qui sont faites au sein des hôpitaux de manière un peu paradoxale : j'ai l'impression qu'on veut pas les utiliser facilement parce que justement il y a un conflit d'intérêt, parce que les hôpitaux sont partis prenantes de la création de la chose, c'est un peu curieux. L'autre élément c'est que je reste persuadé qu'il faudrait qu'on trouve une solution pour que les hôpitaux puissent investir de l'argent sonnant et trébuchant au sein des entreprises, qu'ils arrivent à développer. Je sais que tout le monde n'est pas d'accord avec moi sur ce point et que beaucoup de gens pensent que c'est pas le rôle de l'hôpital de faire ça. On a aujourd'hui par exemple une société qui a été créée au sein de l'AP qui s'appelle Echopen, qui est une société dans lequel l'AP-HP a investi alors évidemment elle a investi sur l'argent du soin donc ce n'est pas quelque chose qui peut se reproduire comme ça de manière indéfinie. Il faudra trouver des méthodes différentes de faire mais force est de constater que cette société, Echopen se développe plutôt pas mal parce qu'on a l'impression au sein de l'AP de soutenir un bébé, c'est à dire qu'on a quelque chose qui a été inventé à l'AP, par un docteur de l'AP, avec des ingénieurs qui sont venus bosser au sein de l'Assistance Publique et bien on a envie de faire marcher la chose et donc je pense qu'on est plus investi avec un produit flagué AP qu'avec un produit qui vient d'ailleurs. Je pense donc qu'il faut vraiment se poser cette question là : est-ce que les hôpitaux peuvent vraiment investir dans les entreprises ? Par exemple aux États-Unis c'est le cas, en Israël c'est le cas, et bien c'est pas facilement le cas à l'Assistance Publique même si ça a été fait de manière un peu exceptionnelle ici.

Personnellement, qu'est-ce que cette aventure vous apporte ?

Ca m'apporte une manière différente de faire mon travail. Je pense qu'au milieu de sa vie, j'ai 50 ans je sais pas si je suis au milieu de ma vie mais ça doit pas être loin quand même, on a fait quand même une grande partie de son expérience professionnelle et même si on apprend toujours en chirurgie, je pense que j'arrive à certains plateaux. Donc ça m'a apporté d'autres choses, une ouverture sur un monde que je connaissais pas. Ca m'a clairement apporté ça : des perspectives, des visions, des choses à distance que j'avais pas en faisant  uniquement de la chirurgie, et puis ça m'a fait comprendre aussi la différence entre la recherche et l'innovation ce que j'avais pas toujours compris au départ. Ca m'a fait comprendre ce que c'était qu'un fond d'investissement, ce que c'était qu'une licence que c'était qu'une propriété intellectuelle : toutes ces entités là qu'on comprend pas du tout lorsque on est dans le guidon, et puis ça m'a fait rencontrer des gens formidables au plus haut niveau de l'État, qui mouillent la chemise beaucoup beaucoup pour faire avancer les choses. Je pense que c'est vraiment grâce à la chaire innovation BObA que j'ai été appelé à rejoindre les PQ Santé 2030 qui aujourd'hui, sont très au contact de l'agence d'innovation en santé, qui a été annoncée dernièrement. Je pense que je serai pas arrivé là si j'avais pas mis en place BOpA, donc ça me permet et ça m'a permis de rencontrer plein de gens, puis de faire j'espère bouger le système de santé dans le bon sens à plus haut niveau