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Entretien avec Nicolas Castoldi

Directeur délégué auprès du directeur général - Assistance Publique - Hôpitaux de Paris

Retranscription de l'entretien


Pouvez-vous vous présenter ?

Bonjour Nicolas Castoldi, je suis directeur délégué auprès du directeur général de l’AP-HP et je pilote le projet @Hôtel-Dieu, ici à l'Hôtel-Dieu, dont la vocation principale est, on va dire, d'accélérer le tournant du soin digital dans les établissements de santé et en essayant de croiser, autant que faire se peut, trois mondes qui ont besoin de se parler. Celui du soin, celui de la recherche et celui de l'innovation. Et je fais ça parce que moi-même dans mon propre parcours, je viens des sciences humaines et sociales, je suis toujours haut fonctionnaire et j'ai beaucoup travaillé dans le secteur de la recherche. Aujourd'hui, j'essaie de faire ce communiqué 3 dimensions qui ont chacune leur logique, chacune leurs intérêts, chacune leurs forces et qui ont, je pense, beaucoup de choses à faire ensemble.

Quelle est votre définition de l'innovation ?

Alors en fait, c'est une très bonne question. C'est une très bonne question, c'est une question très compliquée aussi. Pour moi, l'innovation, c'est la ligne de frontière où on arrive à faire différemment des choses qu'on n'arrivait pas à faire jusqu'ici. Autrement dit, j'ai une approche très pragmatique de l'innovation. Je ne la définis pas par le transfert de technologie, je ne la définis pas par la propriété intellectuelle ou industrielle. Je la définis par le fait d'être capable, à un moment d'avoir un résultat, qu'on n'avait pas jusqu'ici. De l'avoir, parce qu'on a su mobiliser des technologies de rupture, de l'intelligence artificielle, des technologies numériques, des technologies physiques ou biologique, mais aussi quand on est capable de construire des modes d'organisation différents qui permettent à la fin d'avoir des prises en charge différentes. Je pense que c'est important d'avoir une définition large de la notion d'innovation, mais il ne faut pas se perdre au passage. Le risque qui vient immédiatement, c'est celui qui consiste à diluer la notion ou à mettre l'innovation sur tout. Donc à la fin des fins, la vraie question, c'est la transformation et c'est l'impact. Donc je définirai l'innovation par son résultat.

Quelle est votre définition du management de l'innovation ?

Par définition, innover, c'est faire autrement qu'on faisait qu'on pouvait faire jusque-là. Donc la question du management, de l'innovation, c'est comment on rend possible l'émergence de pratiques nouvelles. Et ça, ça suppose pour moi deux ou trois choses. D'abord de la liberté, c’est-à-dire, s'autoriser à réfléchir, imaginer, faire différemment. Ensuite, du cadre, c’est-à-dire, qu'il faut en gros une fois qu'on a commencé à agiter des idées, essayer de les inscrire dans un univers, un environnement, des objectifs, enfin bref, définir progressivement un espace dans lequel on va essayer de faire les choses différemment.

Du coup, le d'animation, ça suppose de croiser trois choses. Cette liberté, en la donnant à ceux qui vont innover. Cette capacité à construire un cadre, une fois que l’ébullition initiale a eu lieu. Et puis être capable d'assurer, dans ce cadre, ou dans cet environnement-là, le dialogue entre les différents univers, les différentes expertises, différentes préoccupations qui permettent d'atteindre une forme d'état stable.

Pourquoi avoir créé le programme @Hôtel-Dieu ?

En fait la naissance de @Hôtel-Dieu, c’est des séries de constat. Le premier constat, c'est la démultiplication des interactions entre les services de soins à l’AP-HP et des startups. C'est un constat qui s'est imposé, qui était une forme d’évidence. Deuxième constat, c'est que, malgré cette multiplicité de liens, on avait beaucoup de mal à travailler efficacement ensemble. Et pourquoi ? Parce qu'on fait, on avait tendance à mélanger les enjeux, mélanger les dimensions. Typiquement, en permanence, la question de co-développement, de la mise au point des innovations, la mise au point des technologies était une question qui était mêlée de préoccupations immédiates d'achats, de vente, de déploiement. Donc on avait quelque part une forme de confusion permanente et on avait besoin de séparer les choses, et de créer à l’AP-HP un espace, dont la vocation principale, et même unique, est d'être dans une logique d'innovation partagée, d'innovation ouverte avec une forme de relation nouvelle entre l'hôpital, les acteurs hospitaliers, les médecins, les soignants, les cadres administratifs et puis les startups et l'innovation.

Donc, on a créé cet espace-là, et on l'a mis en place. On a mis en place en se disant qu’il se passait quelque chose au-delà, du foisonnement, au-delà des difficultés. Que ce quelque chose, c'était une place croissante des technologies digitales dans le quotidien du soin, pas simplement sur la partie administrative des parcours, pas simplement sur la prise de rendez-vous, pas simplement sur des étapes initiales, administrative, l'enregistrement d'un patient. On commençait à voir le soin se transformer à l'épreuve de l'arrivée des technologies digitales. Et on a eu le sentiment qu'il ne fallait pas simplement construire de nouvelles manières de travailler ensemble, mais que la question derrière ça, c'était quel modèle on est en train de construire. C'est-à-dire à quoi ressemble soin, à quoi ressemblent les relations entre acteurs publics, acteurs privés, dans un univers où il y a des startups, qui propose des solutions de suivi à distance de patients dans un univers où les objets connectés collectent des data sur les patients eux-mêmes, dans un univers où, dans plein de registres différents, on est en train de voir arriver des choses que l’on n'avait pas vraiment anticipé.

Et notre sentiment, c'est qu'il faut donc pas simplement travailler ensemble, il faut aussi réfléchir ensemble à ce qu'on est en train de construire. La santé numérique, c'est aussi une forme de puzzle. Et le problème des puzzles, c'est que chaque pièce se pense indépendamment des autres. Une des vocations de @Hôtel-Dieu, c'est aussi créer un espace où l’on peut réfléchir ensemble à quoi ressemble l'univers et le soin qu'on construit. Le réfléchir ensemble, ça veut dire en écoutant ce que les uns et les autres ont à dire. Ça veut dire en disant que chacun a une forme de place dans cette équation. Mais on a besoin, je crois, de construire cette vision commune et partagée. Et qui n’est pas simplement une vision de l’AP-HP ou des startups qui travaillent avec l’AP-HP. @Hôtel-Dieu, c'est un environnement ouvert, ouvert sur les universités franciliennes, ouvert sur le monde d'innovation, ouvert aussi, à toute la diversité des établissements de santé. On a à cœur d'assumer jusqu'au bout cette dimension d'ouverture qui paraît centrale.

Quel a été l’élément déclencheur ?

Je pense que, comme beaucoup de choses, le projet @Hôtel-Dieu est un enfant de la crise. C'est un enfant de la crise, parce que..., enfin, il y a un élément de contraste qui est assez important. Donc, si je devais raconter l'histoire, il y a peut-être deux ou trois étapes. La première, c'est qu’il y avait eu ici à l'Hôtel-Dieu, en 2017, un projet d'institut hospitalo-universitaire qui était porté par le professeur Philippe Ravaud, qui est aujourd'hui le directeur scientifique de @Hôtel-Dieu. Et ce projet était un projet qui justement anticipait ces questions de suivi à distance, de soin digital. Ce projet n'a pas été retenu. Il n'avait pas été retenu, y compris parce qu'il avait le sentiment parmi un certain nombre de personnes, que ces questions-là étaient encore des questions très lointaines. Que ce n'était pas important et qu'elles se poserait plus tard, première chose.

Deuxième chose, qui a fait contraste avec une expérience qui s'est imposée à nous dans la crise, à savoir le recours massif aux technologies numériques pour gérer une situation où l'hôpital n’était plus capable d'absorber les patients qui suivent en temps normal, où par ailleurs les médecins de ville et l'ensemble des médecins avaient besoin de pouvoir suivre des patients en dehors de l'environnement physique. Donc on a vu l'essor bien connu la téléconsultation. On a vu aussi l'explosion de suivi à distance. À l’AP-HP ou en Île-de-France, ça s'est traduit par COVIDOM qui a été construit et portée par l’AP-HP, l’URPS Île-de-France avec le soutien de l’ARS. Le succès de COVIDOM, c'est une très belle démonstration du fait que vous pouvez suivre des centaines de milliers de patients avec une application assez simple. Et donc la santé numérique ou la santé connectée ou le soin digital, ce n'est pas un petit sujet localisé, ponctuelle, c'est une transformation globale. En-tout-cas, c'est un sujet global très large.

Donc le contraste entre les deux, nous a conduits, sous l'impulsion de Martin Hirsch et avec Philippe Ravaud, à nous dire que c'était le moment, sans doute, de réinventer le projet d'IHU qui avait été construit ici et de le penser différemment. De le penser différemment, notamment en le tournant très fortement vers des startups, parce que le constat qu'on faisait tous ces contretemps, l'offre économique avait commencé à exploser. COVDOM, on l'a fait avec Nouvéal. On a vu qu’il y avait maintenant des acteurs économiques qui étaient capables de ne pas simplement réfléchir à ce qu'on allait faire, mais de le faire. Et donc on a, je pense, apporté une tonalité un peu nouvelle, qui était de faire de ce sujet-là, non plus seulement un sujet de recherche ou un sujet de soins, mais d’en faire très clairement un sujet d'innovation.

Comment vos collaborateurs ont-ils accueilli cette décision ?

Je ne suis pas sûr qu'il y a vraiment eu de décision de créer @Hôtel-Dieu. En fait, @Hôtel-Dieu, c'est né d'abord de discussion entre Philippe et moi-même, sous l'impulsion de Martin Hirsch. Et ensuite @Hôtel-Dieu, ce n'est pas construit comme un projet de l’AP-HP. Ça s'est construit comme un projet partenarial de 3 grands acteurs. L’AP-HP, bien sûr. L'université Paris Cité, qui apporte au projet, dans son ensemble, une vision recherche qui est d'abord une vision de réflexion sur les systèmes, de réflexion sur le passage à l'échelle, de réflexion sur, justement, ce que veut dire ce soin digital. Et puis un troisième type d'acteurs, qui sont les startups. @Hôtel-Dieu c'est monté d'abord avec cinq startups Française Lifen, Nouvéal, Withings, Implicity et Nabla. Autour d'une vision partagée du type de partenariat qu'on avait besoin et des types d'objets autour desquels on voulait travailler. Donc c’est né comme un projet au croisement du monde académique, du monde du soin et du monde économique ou du monde des startups. Et du coup, les interrogations qui ont pu exister étaient plutôt les interrogations qui tenaient à l'émergence de ce type de partenariat original plutôt qu'au point de savoir si l'innovation était un sujet d'importance ou pas. L’AP-HP faisait déjà un certain nombre de choses en matière d'innovation. Le Hub innovation était en train de voir le jour, on était en train de se dire que globalement, on voulait construire des modalités d'interaction différentes.

L'originalité d’@Hôtel-Dieu, c'est d'avoir proposé d'emblée une méthode partenariale, en mode innovation ouverte et partagée au croisement de l'univers hospitalier et de l'univers des startups. Et ça, c’est ça force, c’est ça son originalité. Ça a pu surprendre, mais je crois que tout le monde voit assez bien que dans un univers où il y a une offre économique, qui est là, qui sollicite des services, qui vient interroger les médecins, les soignants, d'un côté. Et de l'autre, on a un hôpital qui lui-même, s'interroge sur la bonne manière de se digitaliser. Il est sans doute infiniment plus intelligent d'avoir ensemble des discussions en amont sur ce à quoi ressemble ce qu'on a besoin, sur la vision médicale sous-jacente, sur toutes les conditions d'intégration d'une solution numérique porté par un acteur privé à un environnement public. Tout ça, il vaut mieux qu'on le discute avant. De même qu'il vaut mieux qu’on fasse ensemble l'évaluation de l'impact réel des technologies. Plutôt que de continuer dans la voie qui était la voie habituelle, qui étaient des startups qui continuaient à développer des solutions. Et puis une épreuve du marché qui était celle de la réussite d'échecs, ou de demi-succès, ou de demi-échec.

Donc ce pari-là, je trouve, somme toute, qu'il a un peu surpris, mais qu'il a été assez vite bien accueilli parce qu'il répondait à une forme de besoins du moment.

Vous êtes-vous inspiré d'autres modèles ?

Alors il faut bien reconnaître, qu'une partie de l'esprit même de l'initiative @Hôtel-Dieu est quelque chose qui est assez dérivés de choses qui se pratique dans des champs de recherche académique autres. Notamment, une des choses que j'avais à l'esprit, c'était la pratique des unités mixtes de recherche industrielle qui existe entre certains grands organismes de recherche et certains grands industriels. Et puis tout l'exemple des laboratoires communs, qui avait fleuri quelque part autour des années 2010, dans le secteur de la recherche. Et moi, ce que j'ai retenu de ces pratiques-là, que j'avais connu à l'époque où je travaillais sur les questions d'innovation et de valorisation au CNRS. C’était que ces structures étaient puissantes, parce qu’elles étaient finalement assez saines. À la fois, chacun savait assez clairement ce qu'ils venaient chercher dans le partenariat. Et du coup, on avait un vrai partenariat où les deux parties prenantes, ou plus, se sentaient comme chez elles dans la structure. Et je trouve que c'est un modèle intéressant et que c'est un modèle qui, si on prend ses principes, est un modèle qui mérite d'être transposé ailleurs.

Et donc pour moi, un de nos objectifs, c'est de faire en sorte à la fois que chacun soit très au clair sur son rôle, de ne pas confondre les choses, de ne pas laisser penser qu'on fera des choses qu'on ne fera pas, bref d'être clair. Et puis en même temps, d'arriver à créer un espace collaboratif où chacun se sent chez soi. En-tout-cas, chacun a le sentiment qu'il est à sa place, qu'il y a de l'espace pour lui et qu'on est dans quelque chose qui est profondément partenarial. C’est cet esprit-là qu'on a essayé de conserver. Et c'est ça qu'on essaie de construire à l’Hôtel-Dieu, en se disant que cet hôpital, qui vous voyez juste un endroit absolument merveilleux, qui est aussi un hôpital, qui se transforme et qui se réinvente. C'est un espace, c'est aussi un espace, parce que c'est un hôpital, ça restera un hôpital, très largement tourné vers le soin. Mais c'est aussi un espace, où on doit être capable, y compris parce qu'on est le plus grand CHU français, le plus grand CHU d'Europe, et que ça, il y a aussi des responsabilités qui vont avec ça. On doit être capable de travailler avec d'autres acteurs, qui ont d'autres agendas, d'autres préoccupations, académique, pas académique, privé, pas privé et on doit pouvoir travailler sainement et paisiblement. Ce sont un peu les objectifs qui sont les nôtres. Et c'est ce modèle-là qu'on essaie de construire jour après jour.

Existe-t-il nécessairement un continuum entre la recherche et l'innovation ?

C'est une question importante. C'est une question, sur laquelle, moi, j'ai progressivement changé de regard. J'ai changé de regard parce que j'ai changé d'univers. Quand je m'occupais de la valorisation au CNRS, par définition, j'avais le sentiment que l'innovation se définissait d'abord par une dynamique de transfert de technologies, à la fois de ruptures et peu matures, qu'on allait amener progressivement à un stade de développement qui leur permettrait d'être utilisées massivement dans un certain nombre d’endroits. Et, j'avais le sentiment que l'essentiel de l'innovation se définissait par la technologie, par la rupture, par la propriété intellectuelle et donc par la science ou par la recherche. La recherche, parfois même, la plus à mon possible. Aujourd'hui, après deux années passées au quotidien à l'AP-HP, passées dans le monde hospitalier et passées à discuter avec de très nombreux partenaires publics et privés. J'ai un peu changé de regard, pour deux raisons.

La première, d'abord, j'ai mesuré à quel point la question de la capacité de se mesurer à l'usage, aux usagers, aux bénéficiers finaux, aux clients finaux, quelle que soit la formule qu’on utilise, elles sont souvent assez similaires. Mais, en-tout-cas, se confronter aux besoins et ceux qui, dans les systèmes de soins, vont utiliser ces technologies au bénéfice des patients. À quel point ça, c'est crucial, c'est central. À quel point il y a la une intelligence et une valeur absolument considérable. C'est mon premier point.

Puis mon deuxième point, c'est que j'ai aussi mieux compris à quel point il y a en matière d'innovation des choses qui sont plus ou moins technologique, plus ou moins disruptives. Et j'ai le sentiment qu'il y a un nombre considérable de choses à faire, qui ne sont pas forcément très technologique. En-tout-cas, qui n'appelle pas une intensité technologique, l'intensité scientifique extraordinaire. Qui, après son compliqué à faire parce que ça pose beaucoup de questions d'usage, beaucoup de questions de déploiement, beaucoup de questions de qualité, d'expérience, de qualité de produits, de fluidité et que ces choses ne sont pas très scientifiques. Mais en revanche, ont un impact, une capacité à transformer le soin, le quotidien des soignants, le quotidien des patients d'une manière assez extraordinaire.

Donc, mon sentiment après deux ans, c'est de se dire qu'effectivement, on ferait sans doute une erreur, et même une assez grave erreur, si on réduisait l'innovation a du transfert de recherche scientifique amont. Je pense que c'est une partie importante du sujet, mais que ce n'est qu'une partie du sujet.

Quels objectifs avez-vous fixé au programme @Hôtel-Dieu ?

Je pense qu'il y a trois objectifs cardinaux, qui sont vraiment majeurs. Le premier, c'est d'être capable de mener jusqu'au bout des projets à fort impact, en partenariat avec des startups. Et donc la première pierre de touche, c'est notamment notre capacité à aller jusqu'au bout du projet qu'on a mené avec les cinq startups de l’AMI santé numérique. Et allé jusqu'au bout, ça veut dire, non pas simplement faire des études cliniques, mais arriver à un stade de déploiement, en ayant fait la preuve de l'impact des solutions. C'est une première chose. Je dis ça parce qu'il y a aujourd'hui beaucoup de projets qui sont écosystémiques, qui définissent leur valeur par le fait qu'ils créent une place dans laquelle les gens peuvent se rencontrer. Moi, je pense qu'on a besoin aussi pas au lieu de, mais aussi, de projets et d'environnements portés par des acteurs publics. Et de projets d'environnements qui ont comme vocation de faire des choses et de les faire jusqu’au bout. Ça, c'est mon premier point.

Mon deuxième point, c'est que pour moi, l'une des valeurs de l'Hôtel-Dieu, en tout cas @Hôtel-Dieu, il y a des choses qui a une importance, c'est d'offrir à tous ceux qui au sein de l’AP-HP, notamment tous nos jeunes médecins, tous les soignants ont envie de travailler sur ces sujets-là, de leur offrir un endroit où ils peuvent venir discuter, écouter, questionner, échanger sur ces sujets. Cette place-là n'existait pas, elle commence à exister avec @Hôtel-Dieu. Je pense que c'est un point important et pour moi, ça fait partie des éléments d'impact qui centraux.

Puis on a un troisième. Le troisième, c'est la contribution effective à la réflexion e au travail autour du nouveau modèle de soins qu'on doit construire autour des technologies numériques.

Si j'essaie de me poser deux secondes sur ces trois objectifs, on a plutôt pas mal avancé sur la partie projet. On a plutôt pas mal avancé sur la partie, dynamique collective le sujet de la structuration de ces modèles et modèle économique, modèle juridique, vision globale. C'est un peu le sujet qui est devant nous. C'est celui sur lequel on va essayer de pousser un peu les feux dans les mois qui viennent.

Comment avez-vous positionné le programme @Hôtel-Dieu au sein de l'établissement ?

Alors, il y a eu plusieurs choix structurants qui ont été faits. Le premier, c'est à la fois de s'ancrer dans un environnement. Donc c'est celui de l'Hôtel-Dieu. Pourquoi l'Hôtel-Dieu ? Parce que c'était un hôpital central, qui a une place particulière dans l'histoire de l'AP-HP, dans l'histoire de la médecine française. Qui est en train de se transformer, où on était en train d'installer un incubateur avec Bio-Labs. Et donc on s'est dit que cette place centrale, cette maison, qui est aussi une mémoire de l'innovation dans le soin depuis des décennies, et même des siècles, pouvait être ce point, ce lieu de référence. En ayant conscience aussi du fait qu’il faille avoir des politiques de transformation globale. Bien sûr qu'il y a un sujet global de l’innovation à l’AP-HP, qui est traité par ailleurs. Donc, si on voulait essayer de pouvoir tester des choses différentes, si vous voulez essayer de pouvoir construire des modèles de partenariats différents. Il fallait pouvoir le faire à un endroit. Il fallait pouvoir se dire qu'on avait une zone, un espace dynamique. Ça, c'est un premier choix qui a été fait.

Le deuxième choix qui a été fait aussi, c'est porter ça en relation très forte avec la direction générale de l’AP-HP, parce qu'on a tous conscience que ces questions de changement de modèles, ces questions de transformations de la relation aux acteurs privés, sont des questions délicates. Ce sont des questions sensibles, sur lesquelles il faut pouvoir avoir, non seulement, tout le soutien institutionnel, mais aussi tout le recul institutionnel pour être capable de construire des choses qui fonctionnent et qui aient du sens.

On a fait ces deux choix-là. À la fois d'ancrer les questions d'innovation ouverte dans un site, de l’ancrer en l'ouvrant. Aujourd'hui, on travaille justement à créer des connexions structurées entre Hôtel-Dieu et puis d'autres services, d'autres hôpitaux un peu partout dans l'AP-HP. En ayant ici un site ouvert, qui a un peu vocation à être la tête de pont, pour le dire comme ça. Et puis un engagement fort de la direction générale parce que c'est un projet stratégique. Et qui dit projet stratégique, dit portage par la direction de l'établissement, ce qui est évidemment essentiel.

Quel est le rôle de votre CHU au sein de son écosystème économique ?

Je pense que les établissements de santé ont une place absolument centrale. Et qu’ils ont effectivement une place centrale dans leurs écosystèmes, au milieu des acteurs économiques. Cette centralité même, et aussi ce qui parfois rend difficile d'assumer cette position. Si je prends l'exemple de l’AP-HP, mais je pense qu'on peut retrouver dans beaucoup d'établissements de santé publics, privés, de tailles très différentes. Vous avez aujourd'hui un niveau de sollicitation par les acteurs privés qui est impressionnant et ça ne va pas se calmer puisqu'il y a aujourd'hui des politiques publiques, très fortes, de soutien à la création d'entreprises, au développement d'entreprises. Donc on va voir se multiplier ces sollicitations. Donc je trouve qu'une des difficultés qui existent aujourd'hui pour l'hôpital, pour les hôpitaux, c'est d'arriver à jouer ce rôle central sans se laisser déborder par ce rôle. Et donc ça, ça veut dire une chose, ça veut dire qu'à la fois il faut réfléchir à des stratégies ouvertes. Ça veut dire être capable d'identifier les fonctions clé, en-tout-cas ce qui ne peut pas avoir lieu s'il n'y a pas de partenariat avec l’hôpital. J’en vois basiquement trois, qui sont :

  • L'accès à l'expertise médicale et soignante ;
  • La capacité d'expérimenter et de tester ;
  • La capacité d'évaluer, ça, ça ne peut pas se faire ailleurs ou quasiment pas ailleurs que dans un hôpital.

Donc ses fonctions-là, il faut réfléchir dans un mode ouvert. Il faut se dire qu'elles sont clés pour des développements d'acteurs économiques. Ce qui a en retour un impact direct sur le soin, parce que ce sont des solutions qui in fine, seront utilisées par les services. Ce n'est pas une question, simplement d'impact économique. C'est une question d'impacts, in fine, sur les pratiques de soins et donc sur les patients. Voilà, donc il faut mesurer ses activités. Et puis il faut être capable du coup, de proposer ou de rendre ce service-là, mais le terme n'est pas bon. En-tout-cas, il faut être capable d'offrir cet accompagnement-là, à un nombre d'acteurs économiques, qu'à mon avis, il faut avoir sélectionné et choisir sur la base de besoin ou de priorités qui soient exprimées par la gouvernance et le terrain. Il y a plein de modalités possibles. Je pense qu'il faut choisir ses combats. Il faut les choisir sur des enjeux qu'on estime important. Et il faut essayer de conjoindre la qualité de relation et l’investissement stratégique.

Je pense que si on essaie simplement d'ouvrir les portes de l'hôpital, l’hôpital risque à un moment de ne pas tenir la promesse qu'il fait d'une part et d'autre part d'être débordés par le mouvement qui crée. Donc je pense qu'il faut avoir ce double courage-là de faire ce double mouvement.

Quels impacts le programme @Hôtel-Dieu a-t-il eu sur votre établissement ?

C'est une bonne question, je pense qu'honnêtement, objectivement, avec deux années de recul, on ne peut pas constater grand-chose. Je pense en-tout-cas que ça... Je vois deux impacts, très positifs, à mon sens. Le premier, c'est que ça traduit aux yeux des uns et des autres. Le fait que ces questions-là étaient importantes, que l'innovation était un sujet central. Et ça a contribué, je pense, faire émerger, à faire s'exprimer un peu partout un ensemble de projets ou d'idées qui existaient, qui s'exprimaient par d'autres canaux, ça, je le constate quotidiennement. Je pense que c'est un effet très heureux et très positif. C'est vrai du côté des soignants, c'est vrai aussi des startups. Et puis aujourd'hui, du coup, le vrai défi pour nous, c'est d'arriver à voir comment on tient les engagements qu'on a pris, pas simplement avec un petit groupe de startups initiales, mais avec plus de startups.

Puis un deuxième effet, c'est, je pense que beaucoup de soignants étaient en attente, notamment les plus jeunes, mais pas simplement eux, étaient en attente de pouvoir avoir des échanges, un environnement dans lequel travailler sur ces sujets-là. Je crois que de la même manière, l'existence de l'initiative, ce qu'on a pu organiser ici, ce qu'on essaie de faire conduit un certain nombre de gens à venir nous voir. Ça, je pense que c'est la mesure la plus évidente de l'impact qu'on a déjà eu. Ce qui est devant nous maintenant, c'est de faire la preuve du fait que ça permet de transformer réellement, profondément et positivement des activités hospitalières, le soin, ce qui est fait pour le patient. C'est ce qui est devant nous parce qu'on est sur un projet qui dans son volet “projet partenarial”, avec cinq startups sur trois ans, donc plus gros est évidemment devant nous. Mais c'est ça notre enjeu direct et immédiat.

Par rapport à ce que vous avez mis en place, votre réflexion a-t-elle évolué ?

Je pense qu'il y a des choses sur lesquelles j’ai le sentiment d'être conforté dans l'expérience, sur certains choix. Puis je pense que l'expérience a aussi attiré mon attention sur des points que je n'avais pas forcément vus, ou pas assez vus, ou pas assez compris. Ce sur quoi, je me suis senti conforté, c'est à la fois, d'abord, le sentiment qu'il y a indiscutablement un moment et une envie collective de faire. Ça, c'est une évidence.

Je pensais aussi qu'il était possible de créer des dynamiques partenariales, ouverte et coopérative, avec des startups. Et je pense que l'expérience a montré que c'était effectivement possible. Aujourd'hui, qu’un certain nombre d'acteurs ont envie de participer à construire quelque chose de plus grand qu’eux, c'est vrai, et c’est aussi à ses propres à la santé, je pense. Il y a cette conscience-là, en-tout-cas chez une partie des startups et évidemment chez les soignants. Et puis, je pense aussi que le fait que l'espace hospitalier soit un environnement où l'environnement naturel, celui où ce genre de choses peuvent se faire et avoir du sens. Toutes ces choses-là ont été évidemment confortées.

Après, je vois encore deux grandes questions devant nous, qu’on a commencé à travailler. J'avais anticipé la place des études cliniques, mais je n'avais pas anticipé à quel point être capable de travailler avec des startups, des acteurs économiques, avec une orientation qui soit à la fois scientifique, intellectuelle et industrielle, était quelque chose qui allait appeler un investissement ou du temps, un temps un peu considérable et un investissement considérable. Et au passage, je pense qu'il est très clair que l'accès à la recherche clinique, fait partie, chacun le sait, c'est une banalité de le dire, mais fait partie des facteurs clé ou des éléments clé d'attractivité de l'univers hospitalier. Et ça reste évidemment un sujet délicat que d’être capable d'accueillir cette demande dans un univers qui est déjà très sollicitées par ailleurs, par les appels d'offres et par plein d’autres dynamiques. Cette question-là est assez centrale pour moi.

La deuxième, c'est mesurer ce qui est une évidence. Mais je pense qu'on a besoin de commencer à le faire, d'être capable de structurer des réseaux de soignants, de médecins qui soient non seulement, qui n'aient pas simplement envie de travailler ponctuellement avec telle ou telle startup, ou qui s’intéressent à tel ou tel sujet, mais qui soit dans un exercice collaboratif et prospectif. Je pense qu'on a besoin aujourd'hui dans un univers qui connaît de multiples transformations, c'est banal de le dire, d’être capable de construire la projection collective, y compris dans les champs technologiques, y compris dans le champ des changements de pratiques, y compris dans la réflexion sur ce à quoi ressemble un tel ou tel secteur du soin dans trois ans, dans cinq ans, dans dix ans. C'est vrai dans le champ chirurgical, c'est vrai dans le champ de l'imagerie, c'est vrai dans plein de dimensions d'activités médicales. J'ai le sentiment qu'aujourd'hui, et peut-être plus que je n'aurais imaginé, on n'a pas forcément de manière organisée de manière ouverte, de manière écrite aussi, en tout cas accessible à tous. On n’a pas travaillé ou mené jusqu'au bout cette réflexion. Donc ça, c'est quelque chose sur lesquelles je pense qu'on va essayer de travailler dans les semaines et dans les mois qui viennent, parce que je pense qu'on a collectivement besoin de pouvoir se projeter. Et ce n'est pas un besoin de projection, juste au sens d’y voir clair demain. C'est avoir une vision collective de ce à quoi ressemble dans plein de champs de spécialités et puis à l'hôpital, dans son ensemble, plein de mouvements, notamment technologiques, qui sont engagés. Je pense que faire ce travail-là, nous aidera collectivement au jour le jour, à y voir plus clair sur ce qu'on fait, avec qui et comment.

Selon vous, quels sont les facteurs clés de succès ?

Je pense que les facteurs clés de succès, ils sont assez évidents. Mais ils sont importants et il ne faut pas passer à côté. Il faut un soutien institutionnel qui soit fort, c'est évident. Il faut un engagement. Pour moi, c'est un engagement de direction générale et ça doit être un axe stratégique aux yeux des établissements, premier point.

Deuxième point. Il y a un vrai sujet de leadership médical. Il faut pouvoir avoir un engagement d'un ou plusieurs médecins qui aient d'emblée une vision large. Je pense que ce ne sont pas uniquement des questions de transformation dans telle ou telle spécialité, dans tel ou tel champ. C'est de se dire qu'on est sur une dynamique globale. Et assumer le fait d'avoir, en-tout-cas, des ambitions et une vision qui sera forcément plus large que les projets eux-mêmes. Ça, c’est mon deuxième point

Puis le troisième, qui est un peu en contradiction avec le deuxième, mais qui vient le tempérer. C'est de dire qu'il faut pour moi, être capable de se concentrer d'abord sur un nombre limité de projets qui aient des impacts matériels et des impacts stratégiques qui soient clés et cruciaux.

Et puis, le quatrième point, c'est, je pense, qu'il faut accepter de dire que quand on monte un espace d'innovation, il faut créer quelque chose qui va fonctionner selon des règles un peu différentes, des règles habituelles. Il y a aujourd'hui plein d'expériences là-dessus, plein de choses à regarder dans l'univers du soin bien sûr et ailleurs. Je pense qu'il ne faut pas craindre d'aller regarder comment fonctionnent ces modèles partenariaux et coopératif. Je pense que c'est aussi de nature à rassurer tout le monde. Il y a une inquiétude latente qui existe. Des modèles de partenariats public-privé qui marchent, des choses qui soient saines, ça existe, ça existe même depuis des années. C'est intéressant pour tout le monde, je crois de s’en inspirer.

Si vous deviez recommencer, que feriez-vous différemment ?

C'est une très bonne question. Je pense qu’en même temps qu’on lancerait un premier projet un peu structurant. Je pense qu'on lancerait d'emblée une démarche collective prospective. Pour, en quelque sorte, en être la contrepartie grand-angle. Je pense que ce besoin de prospective, donc ce besoin de se projeter, c’est quelque chose que j'avais un peu sous-estimé au début. Peut-être parce que j'imaginais aussi qu’il y avait plus de choses disponibles qu'en réalité. Je pense que j'essaierai d'avancer aussi vite en parallèle sur ce sujet que sur les autres sujets.

Selon vous, pourquoi est-il nécessaire d'organiser le management de l'innovation ?

Je pense que le meilleur argument, c'est juste la liberté intellectuelle. Ce sont juste les effets sur les personnes. Moi, je suis très frappé de voir. En-tout-cas de mon point de vue ici, à l'AP-HP avec les gens avec qui je travaille, avec qui j'ai la chance de travailler. J'ai vraiment le sentiment que ça apporte quelque chose. Le terme de bouffée d'air frais, est un truc excessif, qui donne le sentiment que ce n'est pas ce qu'on veut dire, mais en réalité, c'est un peu de ça qu'il s'agit. J'ai vraiment le sentiment que c’est une dimension dans laquelle on peut faire des choses, de faire des choses différentes en se nourrissant de la recherche ou pas, mais en se nourrissant intellectuellement. Je trouve que c'est vraiment quelque chose qui a des effets catalyseurs, des effets même parfois libérateurs. En-tout-cas, ça donne un élan, ça donne de l'énergie. C'est important, je pense, dans un univers de soins qui est sous pression permanente, qui est confronté à de vraies difficultés, à une vraie crise, de pouvoir aussi avoir des espaces, des projets, des moments, des manières de fonctionner, qui soient des choses qui donnent de l'énergie, qui donnent du mouvement pour aller plus loin.

Pensez-vous que les innovateurs ont besoin d'être accompagnés ?

Je pense que le besoin d'accompagnement, il est double ou il est triple. D'abord, il y a une première chose qui est importante. En-tout-cas, moi, c'est ce que j'entends dans ce que me disent les médecins, dans ce que me disent les soignants. C'est qu'ils ont d'abord besoin d'entendre, de la part de leurs institutions que, ces activités d'innovation font partie à part entière des choses qu’ils peuvent faire. Quand je dis des choses qu’ils peuvent faire, je ne dis pas que tout médecin, que tout soignant a vocation à travailler avec une startup, à créer une startup, ce n’est pas ce que je dis. Ce que je dis, c'est que ça fait partie du champ des possibles, ça fait partie des choses qu'un acteur, qu’un soignant peut faire. Ça fait partie de ses missions, qu’il y a des cadres pour ça, que ce n'est pas problématique. Ce n'est pas une source d'interrogation, c'est quelque chose qui est possible. Et ça, je pense que c'est effectivement une décision institutionnelle que de dires ça. Il y a dans notre pays une loi qu'on appelle la loi Allègre, qui a été votée à la fin des années 90 et qui a une loi qui a organisé la création de startup par des agents publics dans le champ académique au sens large. C'est une loi qui s'applique à l'hôpital comme ailleurs, et c'est une loi qui a en quelque sorte ouvert la possibilité de faire un certain nombre de choses qui se font aujourd'hui. Donc la première chose, c'est juste de pouvoir tenir ce discours, de pouvoir rassurer chacun sur cela. Et on sait que dans le monde de la santé notamment, cette vague de création d'entreprise, d'accompagnement de la création d'entreprise est quelque chose qui a démarré plus tard, qui est parfois plus compliqué, y compris parce qu'il va de soi que les relations avec le secteur privé sont potentiellement plus sensibles, dans un univers qui est l’univers de la santé. Donc première chose, il faut cette décision.

La deuxième chose, c'est qu'il ne suffit pas de dire qu'on veut innover, qu’on veut travailler avec des entreprises pour arriver à faire. Je pense qu'il y a une très forte demande qui s'exprime parmi les soignants, en-tout-cas les soignants avec qui je travaille, qui est de l'intérêt pour ces questions. Et puis le sentiment qu'il faut être un peu épaulés. Il faut être un peu accompagné pour faire ça. Épaulé, accompagné parce que pour construire ou créer une startup ou pour construire un partenariat, ça ne va pas de soi. Et donc il y a plein de questions qui se posent juridique, économique, ce qui est possible, ce qui ne l'est pas, ce qui est souhaitable, ce qui ne l’est pas. Il y a plein de questions qui se posent. Et donc je crois qu'il y a une très forte demande qui est une demande d'accompagnement méthodologique, d'accompagnement juridique. Il y a besoin d'avoir à côté de soi des interlocuteurs. Et il y a besoin aussi d'avoir le sentiment que ses interlocuteurs, ils sont en sympathie avec l'objectif global, qu’ils sont là pour permettre à ce projet d'aller jusqu'au bout.

Après, je pense qu'il a besoin d'accompagnement aussi, c'est mon troisième point. Parce que ça reste des situations compliquées, ça reste des objets délicats. Ce n'est pas simple de fixer la ligne. Ce n'est pas simple de trouver les bons objets. Donc c'est un exercice qui pour moi ne se pratique pas en solitaire. Je pense que l'innovation solitaire, ça peut faire rêver. Ça aboutit parfois à de grands résultats, mais très souvent, c’est dysfonctionnel. Et donc je crois qu'il y a un vrai besoin de pouvoir inscrire toutes ces démarches dans un collectif.

Puis je finirai par un dernier point, qui nous ramène à la question du système ou de la vision globale. Il y a aujourd'hui un foisonnement d'initiatives, de startups, de produits. Il se passe clairement quelque chose. Ce qui est sur le plan économique et sur le plan sanitaire est plutôt une bonne nouvelle. Mais ça pose une question, qui est comment dans ce foisonnement-là, on arrive à construire des choses qui soient plus grandes ? Qui a du sens ? Qui a un modèle économique ? Qui n’ait pas déjà été fait vingt-trois fois ? Qui éventuellement créé une plus grande valeur ? Et ça, ça suppose aussi, en parallèle de tout l'accompagnement des innovateurs, de l'innovation, encore une fois, de construire une vision plus large. D'être capable de dire un médecin ou un soignant qui veut créer une entreprise, que le sujet, la question à laquelle il s'attaque, en un sens, elle semble avoir été réglée ou elle a déjà fait déjà l'objet d'un projet ou d'une entreprise qui marche très bien. Donc pouvoir lui dire que ce n'est pas forcément le bon sujet. De la même manière, c'est de pouvoir se poser la question de savoir si telle ou telle innovation a une chance quelconque un jour de rencontrer un marché. Une question évidente qui est souvent répétée, souvent abordée, mais qui a une question majeure et qui est d'autant plus une question majeure aujourd'hui qu’en matière de santé numérique, la barrière d'entrée est assez faible, assez peu élevé. Ce n'est pas très compliqué de développer un produit. En-tout-cas, un premier produit, ce n'est pas très compliqué d'essayer d'accès au marché. En-tout-cas, ça en donne le sentiment. Et ça aboutit aussi à ce qu'on voit aujourd'hui fleurir beaucoup de tout petits projets qui auront peu d'impact, qui n'ont pas de modèle économique et qui ont peu de chances d'aller jusqu'au bout. Et donc il faut aussi pouvoir être capable d'avoir cette discussion avec tous ceux qui veulent porter des projets. Parce que c'est la nécessaire réflexion préalable, elle ne doit pas être éternelle. Mais ça pose aussi du coup la question de la compétence, de l'expertise de tous ceux qui, de près ou de loin, accompagne ses projets.

De quoi les hospitaliers ont-ils besoin pour innover ?

Pour répondre à la question sans y répondre, je pense qu'aujourd'hui, on est devant un sujet d'amorçage, de nouveaux modèles de partenariat et de nouveaux modèles de soins. Que l'une des difficultés, c'est, pour le système hospitalier, d'être capable d'allouer de la ressource au démarrage d'une activité. Et dans un monde du soin qui est confronté à une équation financière n'est pas triviale. Faire ce choix est un choix difficile. Donc, de mon point de vue, il y a une vraie nécessité à être capables de donner accès à des enveloppes d'amorçage de ce type. C'est d'être capable de mettre une première série de moyens à disposition pour amorcer des dynamiques de partenariat. Parce que ça suppose de l'investissement humain. Ça suppose de l'investissement en compétences. Ça suppose le travail juridique, économique. Ça appelle beaucoup de ressources, beaucoup d'énergie et de compétences. Ce que je constate aujourd'hui, c'est qu'il y a à la fois beaucoup de lignes de crédit qui sont ouvertes, mais qu'elles sont toujours très tournées vers des logiques de projet très précis et d'autre part, deux quelles sont toujours dans la logique de cofinancement. Je pense qu'aujourd'hui ce système atteint ses limites. C'est-à-dire que si on veut pouvoir faire émerger de nouvelles dimensions d'activité, il faut être capable à un moment d'apporter des moyens initiaux d'amorçage qui fonctionne. Je pense aussi qu'il faut tirer les leçons des échecs rencontrés dans d'autres secteurs. Je l'ai déjà dit dans cet échange. Moi, j'ai eu la chance de beaucoup travailler dans le secteur de la recherche. J'ai connu la création des 14 SATT. J'ai connu le désordre que ça a pu semer, mais aussi tout ce que ça a apporté. Et j'ai aussi mesuré à quel point le fait d'avoir créé des structures de partenariats industriels, de valorisations en leur disant qu'elles devraient être autofinancées à horizon 10 ans, à intégralement déformé le système en faisant peser sur lui une obligation de retour économique immédiat qui n'était pas la bonne. Je suis convaincu que ces activités peuvent, en tout ou en partie, s'équilibrer, voir rapporter de l'argent à l'hôpital, spécialement à l'hôpital. Mais je pense qu'il faut être capable de faire cet amorçage initial.

Et puis je ferai un dernier commentaire. Je pense que si on veut être capable de prendre des virages technologiques assez profond. Si on veut être capables de redéfinir des pratiques dans des secteurs humains compliqués comme la santé. On a indiscutablement besoin d'avoir en accompagnement de toute la stratégie de transfert, d'accompagnement, de partenariat, d'évaluation, dans toutes les opérations, en accompagnement de ça, on a besoin d'avoir de la réflexion, du recul, de l'intelligence, de la structuration intellectuelle des sujets, de la vision systématique, de la vision d'ensemble. Et ça, à ma connaissance, c'est la recherche et la recherche seulement qu'il aborde. Donc j'ai aussi une question qui est de dire aujourd'hui vous avez indiscutablement une très grande attention des pouvoirs publics qui tourne sur les sujets de santé numérique. Je pense qu'on a aussi une question de recherche, de réflexion intellectuelle, de réflexion scientifique autour de ce tournant, autour de ce virage, autour de ces technologies. Et cette réflexion, ce n'est pas simplement financer de la recherche, et il en faut sur les générations à venir de solutions et de produits. C'est aussi financer la réflexion et le travail sur ce que dessine comme mon nouveau et comme question nouvelle, le mouvement qu'on voit aujourd'hui. Nous, on a fait le choix dans @Hôtel-Dieu d'avoir d'emblée une partie recherche portée par Philippe Ravaud. On a eu la chance, dans le cadre de la santé numérique, d'obtenir des financements, non pas seulement pour le co-développement, pour l'évaluation, mais aussi pour cette partie de recherche. Je dois dire que ça a été un point extrêmement positif de la discussion qu'on a pu avoir avec l'État et avec BPI. Je pense qu'on a collectivement besoin de ça. Je pense que cet effort-là, il faut qu'il accompagne celui qui est fait en termes de moyens humains, en termes de processus, en termes d'agilité contractuelle.

Quels verrous lever pour faciliter le développement de l’innovation ?

Elle apporte exactement ça. Ce qui est vrai pour les parties prenantes diverses et variées est aussi vrai que pour moi qui suis une partie prenante. Je pense qu'avoir la chance de pouvoir bâtir un projet d'innovation, un peu structurant, dans un environnement aussi magnifique que celui-ci, parce que c'est un lieu majeur, il est central, c'est quelque chose qui est extrêmement épanouissant, extrêmement nourrissant, extrêmement libérateur. Voilà, c'est un plaisir.

Il y a plein de choses très compliqué tout le temps, mais la démarche d'ensemble. Cette idée qu'on essaie de construire ici quelque chose d'un peu différent, qu'on n'a pas forcément vu ailleurs. Cette idée qu'on essaie ici aussi d'avoir une forme de relation entre université, hôpital qui est un peu différent de ce qu’on voit ailleurs. Cette idée aussi qu'on a besoin au même titre de la recherche, du soin, des startups. Qu'on est capable de monter des projets communs. Qu’on est capable d'essayer de faire des choses qui n'ont pas forcément été faites, ou pas comme ça. C'est quelque chose que je trouve, moi, qui est extrêmement enrichissant, extrêmement plaisant. C'est un bonheur.

Personnellement, qu’est-ce que cette aventure vous apporte ?

Je ne sais pas si les principaux verrous sont législatifs. La réponse est sans doute oui. C'est-à-dire qu'il y a toujours des verrous législatifs ou réglementaires, parce que les textes sont adaptés à un état du monde, que le monde change, et quand le monde change, il faut changer les textes.

Après, pour moi, les principaux verrous, ils ne sont pas par nature réglementaire. Je pense que le principal sujet, enfin il y a deux sujets. Le premier, c'est d'être capable d'organiser réellement des expérimentations. Autrement dit, de s'appuyer sur un certain nombre de projets, de lieux partout en France, parce qu'encore une fois, il n'y a pas que l’AP-HP. Voilà, il y a un nombre considérable de projets et avec la FHF vous les voyez les uns et les autres. Il y a aujourd'hui beaucoup de choses qui se passent, dans beaucoup d'endroits, il se fait des choses intéressantes. Et je trouve que ces projets, il faudrait les voir, aussi, comme des laboratoires de ce qui vient et du coup des adaptations que ça appelle. Et ça, pour le coup, c'est mon deuxième point, ce n'est pas une démarche à laquelle on est habitué en France. Être capable de suivre ce qui se passe sur le terrain, d'anticiper les conséquences de tout ça. Éventuellement de construire avec les acteurs dans leur diversité, les besoins d'adaptations réglementaires ou législatives. C'est quelque chose qui n'est pas beaucoup dans notre tempérament, pas beaucoup dans notre culture politique. Je pense qu'on aurait besoin de ça.

Moi, à titre personnel en tout cas, j'aimerais qu'ici, on soit capable de contribuer à la réflexion sur l'adaptation des modèles, d'être capable d'anticiper les problèmes juridiques qu’il va y avoir. Être capable aussi de faire des propositions et de les faire pas simplement d'un point de vue, mais en alliant les différents points de vue. Je pense que ce serait une force pour tout le monde et ce qui est vrai ici, est vrai ici, est vrai ailleurs. On a vraiment besoin, je crois, de faire ce travail-là.

Et aussi cette conversion qui consiste à se dire que pour une partie, on attend, je pense, tous de l'État. Je pense que l'État peut répondre présent, d'être capable d'accompagner ce qui se passe à un certain nombre d’endroits, d'être capable en avance de phase, de comprendre ce que ça va appeler comme justement divers et variées.