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En plus du modèle de direction innovation proposé dans le Guide, Hospi'Up donne la parole aux acteurs de l'innovation en santé. Au travers des Entretiens Hospi'Up, explorez d'autres modèles d'organisations hospitalières dédiées au management de l'innovation et découvrez le point de vue d'acteurs économiques travaillant auprès des établissements sanitaires et médico-sociaux.

Entretien avec Florence Dupré

Présidente - Medtronic France

Retranscription de l'entretien


Pouvez-vous vous présenter ?

Bonjour, je suis Florence Dupré,  présidente de Medtronic France,  Metronic leader des technologies de santé dans le monde. Mon parcours est le suivant : j'ai rejoint Metronic il y a 2 ans maintenant pour en prendre la présidence, et précédemment j'étais dans les industries du médicament. De formation, je suis scientifique,  à normal sup et puis j'ai été complété mon cursus par un cursus marketing à l'ESSEC.

Quelle est votre définition de l'innovation ?

Alors pour moi, l'innovation c'est produire quelque chose, c'est permettre de faire quelque chose qui n'était pas possible de faire avant. Bref il doit y avoir un avant et un après, ça doit être nouveau, ça doit aussi être utile et ça doit être utilisé parce qu'une innovation qui n'est pas utilisée, elle ne sert pas à changer le monde dans lequel on vit. Les innovations sont multiples : elles peuvent être technologiques, elles peuvent être organisationnelles, de financement. Il y a aussi de l'innovation qu'on peut mettre dans les process : on peut inventer une autre façon de manager nos process et des process qu'on peut dire innovants. On peut aussi avoir un leadership innovant : on peut inventer une autre façon de mener nos équipes vers le succès, de développer nos équipes. On peut créer de façon innovante des cultures apprenantes,  bref c'est quelque chose de très multiple. C'est aussi un élément qui doit être systémique parce que il ne faut pas qu'on saucissone l'innovation avec les différentes dimensions dont je viens de parler. Ca doit être quelque chose qu'on infuse, qui est systémique et qui permet que, quelque part, la somme soit supérieure à chacune des parties, le résultat est supérieur à la somme des parties. Je l'ai dit il faut qu'elle ait un impact et nous, Medtronic, en tant que leader des technologies de santé, ce qui est important pour nous, c'est de contribuer à changer la médecine de demain, la chirurgie de demain, et c'est l'empreinte qu'on souhaite laisser à travers des projets innovants.

Quelle est votre définition du management de l'innovation ?

En tant que dirigeante, je suis responsable du cadre, et quand on parle de management de l'innovation, le cadre qu'on met en place va permettre ou pas d'aller vers de l'innovation. La première chose qui est importante, c'est d'avoir un management inclusif. Moi c'est vraiment une valeur à laquelle je suis totalement attachée parce que c'est ce qui permet ce qu'on dit en anglais, ce qu'on appelle en anglais le speak up,  c'est à dire que quelqu'un puisse venir nous dire à un moment qu'on va dans le mur ou qu'on est parti dans la mauvaise direction et, nous interroge,  nous questionne, et que l'on puisse les entendre pour qu'ils puissent contribuer à apporter leur valeur ajoutée. Donc un, un management inclusif : pour moi c'est la pièce maîtresse d'une société qui se veut innovante. La deuxième chose c'est que l'innovation ça s'invente pas : il y a des méthodologies, il y a des formations,  il y a des process à mettre en place, donc ça c'est important d'être structuré dans le management de l'innovation c'est-à-dire d'avoir des cursus de formation, d'avoir des process. Trois, c'est de donner du temps : en tant que dirigeant, il faut accorder des temps qui ne sont pas des temps morts mais qui sont des temps propices à générer de l'innovation c'est à dire ne pas être en production, mais être en période de création et de créativité. La dernière chose qui est vraiment est essentielle dans le management de l'innovation, c'est le reward, c'est à dire la façon dont on va récompenser les personnes qui vont apporter de l'innovation. C'est très important de se dire et bien qu'il y a un droit à l'erreur parce que dès qu'on a une culture qui donne pas le droit à l'erreur, ça tue l'innovation. Donc le droit à l'erreur c'est important. Moi, en tant que dirigeante, je suis très souvent saisie par mes équipes, par des communautés qui se sont mises en place sur certains sujets, et qui vient de me voir, et parfois je comprends pas tout de suite là où elles veulent en venir mais en les écoutant, en comprenant la façon différente qu'elles ont de penser et d'avoir processé leur innovation, et bien il faut se donner ce droit aussi en tant que dirigeante à l'incompréhension, se dire qu'il y a des personnes personnes qui vont apporter des idées qu'on n'aurait pas eu nous-mêmes, les repérer, leur donner leur place, et bref permettre ce qu'on appelle ce "test on learn" : cette agilité, cette collaboration, et puis se dire que l'innovation c'est l'affaire de tous et de toutes, et donc il faut l'infuser au plus près de nos business,  au plus près de nos managers dans une culture apprenante.

Pourquoi mettre en place une organisation dédiée au management de l'innovation ?

Je pense que c'est important de séparer la direction Recherche & Développement et la direction de l'innovation. Recherche & Développement et Innovation sont des choses distinctes mais connectées. Il est important que la direction de l'innovation reporte directement à la direction générale. Pourquoi ? Parce que si on veut que l'innovation soit l'affaire de tous et de toutes, la meilleure place qu'on puisse lui donner, c'est une place stratégique, en direct avec la direction générale : c'est là où elle pourra infuser partout. On l'a dit tout à l'heure, l'innovation est bien plus large que le domaine de la Recherche & Développement.  On peut l'appliquer à bien d'autres choses donc c'est en cela qu'il est important qu'elle reporte à la direction générale et puis cette distinction aussi entre les deux, c'est que la Recherche & Développement est quelque chose de très structuré, de très réglementé, et l'innovation finalement c'est la partie la plus créative. Autre chose qui est importante de garder en tête, c'est que parfois l'innovation peut servir la Recherche & Développement en permettant à la Recherche & Développement d'être plus créative, plus efficiente, plus efficace et donc progresser. Et puis pour nous industriels,  c'est important dans les directions générales des établissements, dans ces services, d'avoir des personnes qui sont dédiées à l'innovation. Pourquoi ? Parce que l'innovation c'est un langage différent, c'est une culture différente,  c'est des process, c'est des formations différentes et donc avoir un interlocuteur qui partage le même langage ça peut nous permettre d'aller ensemble beaucoup plus loin.

Connaissez-vous un modèle qui pourrait servir d’inspiration ?

Moi, je peux partager avec vous quelque chose qu'on a mis en place chez Metronic,  donc par la direction de l'innovation, et en trois ans, on a formé plus de 100 collaborateurs et collaboratrices aux techniques de l'innovation. Ce programme s'appelle "destin action". Son objectif,  au-delà de la formation, c'est de pouvoir faire un appareillage entre des ambassadeurs qui ont envie de s'investir,  de progresser, de grandir sur les méthodes d'innovation avec des startups,  qui ont été sélectionnés, et puis de les faire travailler ensemble autour de projets parce que c'est important de parler innovation mais pas de façon théorique, de façon concrète. Donc elles ont travaillé sur des projets avec des startups et y compris des projets de commercialisation, pour permettre la commercialisation de produits qui auront été co-créés entre nos employés et les startups. Bref, elles apprennent en faisant et notre objectif et bien, c'est de continuer à insuffler cette culture de l'innovation dans laquelle chacun et chacune peut grandir, et de former plus de d'ambassadeurs et de travailler sur plus de projets d'innovation. Donc toujours pour moi, aller vers l'humain,  utiliser l'humain, la culture pour faire grandir l'innovation dans l'entreprise et voilà la recette que je peux partager avec vous.

Existe-t-il nécessairement un continuum entre la recherche et l’innovation ?

Alors je dirais non, il y a pas de continuum nécessaire entre l'innovation et la Recherche & Développement, parce que l'innovation est plus large que la Recherche & Développement, et quand on fait de l'innovation en termes managériale, de process, de leadership ou d'organisation d'un service, on n'est pas forcément dans un projet de recherche. Parfois, parce que on travaille sur de l'innovation, on peut aider la Recherche & Développement à être plus innovante. Et donc elle peut soit précéder la Recherche & Développement,  soit être intégrée à la Recherche & Développement, soit être après la Recherche & Développement. Donc il n'y a pas forcément de continuum : l'important c'est que la direction de l'innovation reporte à la direction générale pour être au cœur de la stratégie et toucher l'ensemble des départements

Quels objectifs fixeriez-vous à une direction innovation ?

Alors si je devais créer un département innovation dans un établissement de santé, le premier objectif que je fixerai,  c'est le changement culturel. Comment insuffler l'innovation au sein des équipes ? Donc c'est essentiellement le premier projet, c'est comment insuffler cette innovation dans l'établissement. La deuxième chose, c'est que si on veut apporter des projets innovants qui vont vraiment changer les choses, il faut répondre à des enjeux. Donc il faut identifier pour l'établissement les plus gros enjeux. Alors il y en a qui sont face à nous comme celui de la santé numérique, comme celui de l'intelligence artificielle, de la gestion des données,  donc on peut on peut avoir tous ces enjeux qui sont confiés à une direction de l'innovation mais en premier le changement culturel.

Comment devrait-elle être positionnée au sein de l’établissement ?

Alors sans équivoque, je positionnerai une direction de l'innovation dans un établissement de santé au niveau de la direction générale : c'est là où elle a sa place. C'est lui donner une dimension stratégique et surtout systémique.

Quel devrait être le rôle d’un établissement de santé au sein de son écosystème économique ?

Alors on est tous, qu'on soit industriel ou établissement de santé, dans un écosystème et c'est important de travailler avec les différents éléments de cet écosystème, que ce soit les partenaires privés, industriels, avec les hôpitaux mais aussi et surtout n'oublions pas les patients, parce que on est dans le soin, on est dans la santé et c'est important de les intégrer. Donc cette collaboration publique/privée, en tenant compte des associations de patients, des enjeux qu'ils peuvent avoir,  de la vie au quotidien des patients dans les établissements de soins on peut apporter beaucoup d'innovations là aussi.

De quoi les hospitaliers ont-ils besoin pour innover ?

Pour moi les hospitaliers ont besoin,  pour mieux innover, d'avoir du temps qui est consacré à l'innovation, à la réflexion, à la créativité. Un exemple nous en interne, dans notre projet "destinaction", on avait décidé de donner 20 % de temps disponible pour nos ambassadeurs. Donc le temps c'est important, ce qui est aussi important c'est la méthode donc toujours, on revient sur ces éléments de formation. Donc du temps, de la méthode de formation et puis cette ouverture sur l'extérieur, cette capacité à regarder ce qui se passe dans l'écosystème. Et puis quand on réunit tout ça, on permet aux cadres hospitalier aussi de réenchanter leur quotidien parce que c'est important de passer du temps sur des choses qu'on aime et de réenchanter son quotidien,  c'est vraiment quelque chose que l'innovation nous permet de faire : ça nous fait rêver.

Selon vous, quels sont les facteurs clés de succès ?

Les facteurs clés de succès. Le premier c'est d'impliquer par essence les collaborateurs : ça ne peut pas être une direction déconnectée de l'ensemble des collaborateurs d'un établissement de soins. Donc ça c'est le premier point. Le deuxième, c'est qu'il y a des directions hospitalières qui s'y sont mises, qui ont mis en place des choses, c'est toujours important, en termes d'innovation d'aller faire du benchmark, d'aller regarder ce qui se passe à l'extérieur, que ce soit auprès de vos collègues directeurs d'établissements ou que ce soit auprès d'industriels. Donc s'ouvrir à l'extérieur et puis impliquer vos équipes pour pas que ce soit de l'innovation en chambre. L'innovation en chambre elle ne produit rien de bon, il faut qu'elle soit systémique et chaleureuse et au cœur de nos organisations.

Selon vous, pourquoi est-il nécessaire d'organiser le management de l’innovation ?

Je dirais qu'on a pas le choix si on veut pouvoir progresser, si on veut répondre aux enjeux de la santé de demain et on sait qu'ils sont importants. Le monde dans lequel on vit est un monde de plus en plus complexe. L'innovation,  l'agilité c'est la clé pour arriver à progresser donc je dirais qu'on a pas le choix. Il faut créer une direction, se donner les moyens de mettre l'innovation au cœur de nos organisations, qu'on soit industriels ou qu'on soit directeur ou directrice d'établissements : c'est une vraie force pour l'avenir.

Pensez-vous que les innovateurs ont besoin d’être accompagnés ?

Alors oui les innovateurs ont besoin d'être accompagnés. Ils ont besoin d'être accompagnés au niveau fondamental, en termes de méthodologie, en termes de formation, en termes de compréhension : ça bouge très vite la théorie de l'innovation. Ils ont aussi besoin d'être accompagnés dans un cadre qui leur permette d'avoir ce fameux droit à l'erreur. On peut pas innover tout seul dans son coin, c'est quelque chose de de collaboratif, c'est quelque chose de systémique et donc il faut leur donner un cadre dans lequel ils peuvent expérimenter aussi sur du concret. Parfois ce ne sont pas des énormes ou des grosses innovations qui vont révolutionner d'un coup d'un seul. Une grande innovation parfois elle vient de petites innovations qui vont s'enchaîner les unes avec les autres, vous savez cette espèce de start learning qui permet de d'avancer et au final qui aboutissent à des choses qui sont marquantes. Et ce droit à l'erreur, ce droit à l'expérimentation, il est absolument fondamental donc oui il faut les accompagner pour créer une culture de l'innovation et de l'expérimentation.

Quels verrous lever pour faciliter le développement de l’innovation ?

Alors je crois que ce qui est important,  c'est que l'innovation puisse être reconnue donc qu'elle puisse être évaluée de la bonne façon. Quand on se place au niveau des technologies de santé, si on change pas les critères d'évaluation, on n'arrive pas à financer l'innovation. Donc, ouvrir nos critères d'évaluation, de ce que sont des innovations, de ce qu'elles apportent en termes d'efficience en santé : parce qu'il s'agit pas uniquement d'être dans la Recherche & Développement et apporter quelque chose de clinique. Il y a aussi de l'innovation organisationnelle, donc ça nécessite de changer son schéma de pensée, sur l'évaluation de l'innovation, donc ça c'est le premier point. Le deuxième point, c'est que quand on innove, on innove pas dans son coin. On innove au sein d'un établissement, on innove entre un établissement et des industriels, on innove entre un établissement et des associations de patients, donc il faut décloisonner, ne plus considérer qu'on est contre mais au contraire, qu'on est avec, et que c'est en toute logique qu'on construit avec. Donc c'est le deuxième point c'est décloisonner pour permettre à l'innovation de donner pleinement son effet et de changer nos vies et de changer nos modèles organisations.