En plus du modèle de direction innovation proposé dans le Guide, Hospi'Up donne la parole aux acteurs de l'innovation en santé. Au travers des Entretiens Hospi'Up, explorez d'autres modèles d'organisations hospitalières dédiées au management de l'innovation et découvrez le point de vue d'acteurs économiques travaillant auprès des établissements sanitaires et médico-sociaux.
Bonjour, je suis Frédéric Espenel, directeur du Centre Hospitalier de la Côte Basque et de quatre autres établissements qui sont insérés dans le Groupement Hospitalier de Territoire Navarre Côte Basque. Je suis arrivé à Bayonne il y a maintenant deux ans et demi après un long parcours partout en France.
Je dirais que l’innovation, c'est surtout un processus d'accompagnement du changement, ou plus exactement un processus qui permet de résoudre un problème qui se pose à une équipe, et de le résoudre de façon collective.
Le management de l'innovation, peut-être, comporte plusieurs étapes. La première étape, c'est de rendre cette notion familière à tous, que chacun puisse se l'approprier, ne pas en avoir peur et se dire qu'au fond, on peut faire de l'innovation partout où l'on est et quelle que soit la place qu'on occupe dans l'établissement.
La deuxième étape, c'est sans doute libérer les énergies et envoyer le signe à chacun qu'il est possible d'innover à l'hôpital.
Et la troisième étape c'est aussi d'intégrer l'hôpital dans un écosystème, puisque l'innovation ne peut pas se faire seul. L'hôpital ne peut pas être seul pour mener l'innovation : il faut qu'il soit effectivement inséré dans un écosystème propice à l'innovation.
Alors la direction de l'innovation de notre GHT est une direction jeune puisqu'elle a maintenant un peu plus d'un an.
Il y avait plusieurs raisons à la création de cette direction l'innovation. D'abord je pense que c'est un levier managérial très important : je pense qu'envoyer le signe aux équipes que l'on peut faire de l'innovation dans notre GHT, c'est aussi envoyer le signe qu'on est un GHT dynamique et en termes d'attractivité, de fidélisation ça me semblait quelque chose de très important pour les équipes médicales, mais pas seulement : aussi pour les paramédicaux et l'ensemble des personnes qui travaillent à l'hôpital. Donc ça c'était la première raison.
Et la deuxième raison, c'était aussi l'idée qu'il existe déjà de l'innovation dans nos établissements et que la création d'une direction de l’innovation permettait de rendre visible toutes ces actions un peu éparses, dispersées, parfois individuelles qui existent et qu'il me semble intéressant de fédérer au sein de cette direction de l'innovation.
L'élément déclencheur, ou plus exactement le facteur qui a facilité et justifié la création de de cette direction d'innovation, c'est qu’au moment où l’on a écrit le projet d'établissement, qui est un projet d'établissement commun à l'ensemble des établissements du GHT, au moment où l’on a écrit ce projet d'établissement, la dimension de l'innovation, avec la recherche et la formation sont apparus comme des dimensions essentielles et forment l'un des cinq piliers de notre projet d'établissement. Donc dans la mesure où il fallait accompagner ce volet-là du projet d'établissement, il fallait une direction qui puisse suivre les travaux dans le domaine.
Je crois que les collaborateurs ont accueilli favorablement la création ou l'individualisation de l'innovation au sein de notre organigramme, comme un signe qu’encore une fois, la gouvernance du GHT portait une attention particulière à cette dimension de l'innovation, qui est importante en terme d'attractivité, je l'ai dit ,qui est importante aussi en terme de transformation écologique, qui est importante en terme de positionnement de nos établissements, dans un contexte qui est concurrentiellement fort ici sur le territoire. Tous ces facteurs sont des facteurs qui ont été de nature à faire accueillir favorablement la création de cette direction d'innovation.
Oui, on est allé regarder un peu partout ce qui se faisait en matière de d'innovation, sachant que dans le milieu hospitalier, en particulier l'innovation est jusqu'à présent plutôt réservée aux CHUs. Donc le sujet c'est finalement de trouver un modèle qui soit propre à un Centre Hospitalier, à un GHT de notre taille, qui est quelque part autour d'un petit CHU, mais sans évidemment la dimension universitaire.
Donc il fallait inventer un modèle et j'allais dire que l'innovation, elle est aussi dans la façon dont on structure cette direction de l'innovation, c'est-à-dire qu'on va pas à pas, on tâtonne et on va progressivement arriver sans doute au modèle qui va nous convenir.
Les moyens nécessaires à l'innovation sont sans doute différents selon le type d'innovation que l'on veut promouvoir. Alors on pense souvent à l'innovation technologique qui, de façon un peu évidente, nécessite peut-être des moyens. Ce qu'on essaie de montrer aussi, c'est que l'innovation n'est pas simplement technologique : elle est aussi managériale, organisationnelle, que tout ça ne nécessite pas nécessairement beaucoup de moyens, et peut-être, peut parfois d'ailleurs aussi générer des économies, qui est, dans le contexte des difficultés budgétaires que connaissent tous les hôpitaux publics, aussi un axe fort.
Après sur le volet de la transformation technologique, et d'ailleurs sur l'ensemble des volets de l'innovation, la colonne vertébrale, c'est aussi des dispositifs numériques, sans doute solides, et sur ce volet de l'innovation numérique, il nous a semblé qu'il fallait passer un cap. Et c'est sans doute ce préalable là qu'il va être nécessaire de franchir.
La feuille de route de la direction de l'innovation, c'était d'abord mieux connaître notre écosystème puisqu’en fait, il m'est apparu, en arrivant ici à Bayonne et dans le Pays Basque, que le Centre Hospitalier, malgré ses 5000 collaborateurs, malgré la puissance économique qu'il entraîne, n'était pas perçu forcément par nos interlocuteurs à l'extérieur comme un élément d'innovation sur le territoire, aussi parce qu'on ne connaissait pas les acteurs de l'innovation sur le territoire.
Donc la première étape était de faire connaître le CHCB et le GHT, de faire connaître son ambition en matière d'innovation et d'aller à la rencontre des acteurs institutionnels, économiques du territoire qui pouvaient travailler avec nous cette dimension de l'innovation. Tout ça, ça prend déjà beaucoup de temps surtout dans un territoire aussi riche que le nôtre en termes d'innovation.
La deuxième étape, celle qui est en construction, c'est celle de la création d'un dispositif interne d'aide à l'innovation, qui passe comme je le disais, d'abord par une appropriation collective de ce sujet de l’innovation, et va passer maintenant aussi dans la création des outils internes de recueil des volontés d'innovation à l'échelle du GHT, et d'accompagnement de ces initiatives, avec l'idée de devenir plus agile, plus souple et de permettre de répondre plus vite et plus facilement à ces propositions d'innovation.
La direction de l'innovation est une direction à part entière, au même niveau que les directions fonctionnelles classiques, que sont la direction des ressources humaines ou la direction des finances. Pour moi il y a vraiment un signe égal entre toutes ces directions .
Le GHT peut d'abord être de manière assez évidente un terrain d'entraînement, un terrain d'essai pour un certain nombre d'innovations qui sont porté par des start-up ou des entreprises locales : ça c'est sur le volet sans doute de l'innovation technologique. Mais c'est aussi un terrain d'essai pour de l’innovation managériale ou de l'innovation organisationnelle, compte tenu de la très grande diversité des activités qu'on trouve au sein d'un Centre Hospitalier. Il a fallu que j'explique à un certain nombre de nos partenaires qu’on avait par exemple des activités industrielles comme la blanchisserie la restauration, qui peuvent aussi pour des entreprises être des terrains de d'exercice pour de l'innovation.
Je crois très fort à ce dialogue entre les établissements hospitaliers et leur territoire : les entreprises du territoire et les institutions du territoire, quel que soit finalement le prisme que l'on prend. Et le prisme n'est pas forcément celui de la santé au sens strict.
Le premier impact que l'on a perçu, c'est qu'on est désormais beaucoup mieux repéré dans l'écosystème territorial et que maintenant, des entreprises, des laboratoires, des institutions viennent nous chercher pour parler d'innovation avec nous. Donc ça c'est pour moi une première victoire.
Ce qu'il nous reste à faire maintenant, c'est effectivement créer ce dispositif d'incubation interne, ce dispositif d'intrapreneuriat : c'est ça que j'aimerais pouvoir mettre en œuvre, il nous reste à le faire maintenant.
Les retours que je reçois du terrain, c'est qu’effectivement, ça donne une image dynamique et positive de notre établissement. Ça donne envie à des personnes au sein de l'établissement se lancer dans des initiatives. Et puis ce qu'on s'applique à faire aussi, c'est faire connaître ce qui existe déjà. Donc on essaie de développer la communication autour des actions d'innovation qui peuvent être portées par les uns ou par les autres, et ça crée une espèce d'émulation et ça permet en tout cas à quiconque aurait envie de se lancer dans l'aventure de se dire « c'est possible puisque j'ai un collègue ou j'ai un confrère qui s'est lancé dans l'aventure ».
Ce que je retire de cette un peu plus d'un an d'expérience, c'est que finalement, il faut beaucoup de temps. Alors on peut être impatient mais il faut poser les fondations c'est-à-dire comme je le disais, d'abord s'inscrire dans un écosystème, bien le connaître, se faire connaître de lui, poser les fondations aussi en interne de ce que c'est l'innovation. L'innovation ça peut parfois être perçu comme un grand mot très compliqué alors qu’au final, il faut expliquer que ça peut être quelque chose de très simple, qu'on peut faire à n'importe quelle échelle et sur n'importe quel sujet, et que tout ce qui permettra de changer l'organisation, de répondre à un problème du quotidien, c'est de l'innovation. Donc cette étape-là, il faut prendre le temps de de la mener.
Il faut aussi expliquer que l'innovation ce n’est pas antinomique, ou plus exactement, il faut expliquer que l'innovation n'est pas rendue impossible par les difficultés budgétaires de l'hôpital. Au contraire l'innovation, c'est peut-être aussi une réponse aux difficultés budgétaires de l'hôpital, que l'innovation ne nécessite pas comme on disait forcément beaucoup de moyens et que l'innovation, c'est aussi un moyen de s’aérer, de trouver une dynamique positive, de sortir d'un discours qui parfois est un peu plombé par ces difficultés budgétaires que connaissent les établissements publics.
Alors si un collègue souhaitait créer une direction d'innovation, je lui dirais de foncer. Parce que comme je le disais, ça offre une perspective un peu positive dans le contexte actuel des établissements publics.
Après il ne faut pas que cette création d'une direction de l'innovation apparaisse déconnectée du fonctionnement, des attentes et du projet de l'établissement. Donc il faut d'abord s'assurer qu'il y a une appétence du terrain, j'allais dire, pour l'innovation, ce qui était le cas ici avec des équipes médicales, paramédicales, administratives, techniques, et logistiques, qui avaient envie de porter cette dimension. Donc il faut d'abord évidemment soit s'assurer que le terreau est fertile, soit le soit le fertiliser, j'allais dire, pour que cette dimension émerge au sein de de l'établissement. Ça doit vraiment être porté comme un axe stratégique du projet de l'établissement. En fait l'innovation, elle est transversale, elle n’est pas à côté du reste, et c'est sans doute ça qu'il faut porter très fort : c'est-à-dire que l'innovation est contributive du développement de l'établissement.
Comme je le disais, terreau était fertile, l'établissement était sans doute mûr et en attente de cette création de la direction d'innovation. Sans doute il faut accompagner cette création de beaucoup d'information pour expliquer les raisons de la création de cette direction. Alors c'était facilité par le fait que c'était un axe prioritaire du projet d'établissement donc ça semblait légitime d’enclencher quelque chose, mais notamment je pense qu'il faut bien insister sur le fait que l'innovation elle est partout, à toutes les échelles, qu'elle est légitime dans un Centre Hospitalier qui n'est pas un Centre Hospitalier Universitaire, que l'innovation n'est pas seulement technologique et que l'innovation ne coûte pas forcément beaucoup d'argent.
Alors ça semble assez évident de dire que si l’on n’avance pas, on recule. Pour moi l'innovation c'est la condition sine qua non d'un hôpital public fort sur son territoire.
Ce qu'elle m'a apporté professionnellement, c'est d'abord la connaissance et la mise en en relation avec tout un pan du territoire, et des acteurs du territoire que je ne connaissais pas forcément jusqu'à à présent. Ça permet aussi à un chef d'établissement de connaître beaucoup plus finement son territoire, les acteurs du territoire et les personnes avec lesquelles il va pouvoir travailler sur le territoire, et ça c'est un enrichissement professionnel très fort.