En plus du modèle de direction innovation proposé dans le Guide, Hospi'Up donne la parole aux acteurs de l'innovation en santé. Au travers des Entretiens Hospi'Up, explorez d'autres modèles d'organisations hospitalières dédiées au management de l'innovation et découvrez le point de vue d'acteurs économiques travaillant auprès des établissements sanitaires et médico-sociaux.
Delphine Mallet, je dirige aujourd'hui les activités dédiées santé et autonomie du groupe La Poste. J'ai commencé dans ses activités il y a presque sept ans. J'ai créé la stratégie et la mise en œuvre à la fois par de la croissance externe, des investissements dans des sociétés spécialisées et l'innovation organique au sein du groupe.
L'innovation, c'est un changement réel, d'une façon de faire.
Manager l'innovation, c'est créer les conditions de faire mieux en faisant différemment. Et pour moi, on le fait de deux façons. On le fait en étant d'abord tourné vers l'extérieur : vers les clients, vers l'écosystème, vers les nouvelles technologies qui apparaissent, vers les ruptures, en veille sur ses concurrents.
Et ensuite en favorisant l'émergence d'idées neuves au sein de son organisation.
En fait, l'innovation, ça nécessite d'avoir un radar très large pour capter toute proposition qui peut contribuer à résoudre un problème. Donc, de mon point de vue, la recherche plus focalisée va descendre plus en profondeur, alors que l'innovation va chercher à élargir au maximum le filet d'idées. Donc c'est aussi pour ça et parce que ça nécessite d'accompagner le changement auprès d'utilisateurs de solutions nouvelles, que souvent, l'innovation est animée, en tout cas, par des équipes dédiées.
Alors, je vais prendre un modèle hors santé. Je trouve qu’on a tous à s'inspirer de Tesla. Parce que Tesla, ils ont des chercheurs, je crois qu'ils en ont pas mal. Ils ont des chercheurs qui cherchent la batterie, qui va durer cent ans. Ils vont trouver des batteries facilement recyclables. Ils vont faire de la recherche poussée pour apporter de la transformation fondamentale sur les produits techniques. Mais Tesla, c'est aussi l'innovateur, l’innovateur d'usage, l’innovateur de produits, l’innovateur d'ergonomie, qui n'a pas forcément amené des ruptures systématiquement technologiques, mais qui a assemblé des ruptures technologiques existantes pour faire un produit nouveau et le rendre plus accessible. Je trouve que cette combinaison des deux savoir-faire, et après le savoir-faire de commercialisation est un modèle à suivre dans beaucoup de secteurs.
Nécessairement, je ne sais pas. Encore une fois, j'ai la conviction qu'on peut innover sans avoir nécessairement poussé très loin la recherche. Il faut parfois assembler des choses qui existent, ou faire des choses pas très compliqués sur le plan de la technologie. Ça ne nécessite pas forcément de rupture produit, de rupture technique, de rupture d'usage, mais parfois simplement un assemblage différent qui va amener un usage nouveau d'un produit ou d'un matériau qui existent déjà. Et pour moi, c'est ça qui fait aussi un peu la différence entre recherche et innovation. Donc, il peut y avoir, et c'est certainement ce qu'il faut rechercher, un continuum qui part de la recherche qui arrive à l'innovation et à l'application. Mais parfois, l'innovation apparait sans la recherche.
Je lui fixerai comme objectif de traiter les problèmes principaux de mon organisation. Et d'apporter du coup, se faisant, de nouveaux usages. Et pour ça, pour traiter des problèmes qui permettent d'améliorer l'efficacité, d'améliorer la qualité du service que je rends. Je leur demanderai de faire un état des lieux des problèmes principaux de mes utilisateurs, utilisateurs au quotidien, partie prenante donc mes salariés, mon équipe et mes clients. Et à partir de là, de venir instruire des projets d'innovation, de les mettre en œuvre dans l'organisation. C'est encore plus simple quand on parle de problèmes ont été remontés par le terrain. Normalement, l'acceptabilité d'une nouvelle solution qu'on peut tester et mettre en œuvre est plus forte si ça répond à un problème qui est remonté du terrain comme étant prégnant. Donc ce serait ça le principal objectif de ma cellule innovation : traiter les principaux problèmes manifestés par l'organisation avec des projets de solutions innovantes.
Si on veut obtenir des effets rapides de transformation des organisations, en fait, par l'innovation, e transformation de la proposition de valeur, qui créent des ruptures, au sens positif, dans les modes de fonctionnement, je pense qu'il faut la positionner dans un comité de direction. Pourquoi ? Parce que l'innovation doit capter les enjeux de toutes les parties prenantes de l'organisation, elle doit pouvoir avoir accès à la DSI, à la direction financière et elle doit faire partie finalement du projet d'établissement. Ça ne peut pas être séparé du projet d'établissement. Ce sont des nouveaux modes de fonctionnement, donc ça doit être nativement intégré dans la façon de conduire le fonctionnement de l'établissement.
C'est un rôle assez majeur pour éviter que l'innovation produite reste un peu aux portes de l'hôpital. Il y a beaucoup d'entrepreneurs, de startups qui imaginent, d'après leur expérience de patients, notamment des produits de rupture, des solutions digitales de rupture. La chose que je trouve qu'on a parfois du mal à faire, c'est rentrer en profondeur, finalement, dans les problèmes d'organisation de l'établissement, dans les problèmes à résoudre. Je parlais de l'importance d'identifier les problèmes prégnants à résoudre. Je trouve que l'établissement, s'il organise l'accès des innovateurs de son écosystème, à un vie ma vie dans un service de soins, dans un service d’administration, dans les différents lieux d'activité de l'établissement, aura de meilleurs résultats avec les innovateurs de son écosystème que si on attend qu'il y ait un prototype qui a été fabriqué un peu à partir d'une idée qui vient d'être confronté à une réalité mise en œuvre.
Je me considère un peu comme faisant partie des industriels innovateurs avec les startups qui sont dans notre propre écosystème ou celle que l'on côtoie. Je trouve qu'on gagnerait à pouvoir être au moins quelques heures durant, peut-être quelques jours durant, immergé dans les problèmes à résoudre.
Ce n'est pas toujours facile et je comprends pourquoi. Je comprends notamment dans un service de soins, il soit difficile d'accompagner, d'être présent toute la journée pour observer ce qui se passe. Et en même temps, si on ne le fait pas, si on ne le fait pas ensemble, je trouve qu'on va moins loin dans la pertinence de la solution. Donc moi c'est vraiment ça que j'essaierai d'organiser entre l'établissement et son écosystème d'innovation.
Je pense qu'il y a deux défis, et alors qui sont totalement amplifiés par la pénurie de soignants, c'est encore plus improbable d'arriver à diffuser des changements profonds d'organisation, quand on a déjà pas de bras pour faire la prestation, le service, rendre tous les jours le service qu'on doit rendre.
Je pense qu'il ne faut certainement, pas forcément beaucoup, mais des personnes qui ont des méthodes d'observation, des méthodes de stimulation de l'innovation et une capacité à piloter un projet à l'arrêter d'ailleurs, si ça ne va pas, ou à le déployer plus vite si ça se passe bien. Des personnes dédiées, des formes d'ingéniérie, des process qui doivent être changées, qui incorporeront l'innovation, qu'elle soit organisationnelle ou technologique, et quand il n'y a pas d'équipes ou d'interlocuteurs dédiés, c'est évidemment beaucoup plus dur pour un service d'aller, de franchir des phases d'innovation importantes encore une fois dans des dimensions de pénurie de ressources.
Et puis évidemment probablement, des ressources d'investissement allouées à ces projets d'innovation avec, je le redis, un élément important, c'est le droit à l'échec. Je pense qu’accepter l'idée que ce qu'on fait puisse régulièrement ne pas donner les fruits et savoir du coup s'arrêter si c'est le cas, parce qu'on a mis en place des outils de mesure de l'innovation et de son efficacité, c'est pouvoir envisager des succès. Il faut accepter de tester des choses et certaines ne fonctionneront pas. Cet état d'esprit là, sur la conduite de projets d'innovation, il est tout aussi important que des ressources dédiées, que des investissements et financements.
En synthèse, les facteurs clé de succès, pour moi, il y en a deux : le droit à l'échec et la mesure de ce qu'on fait.
Le droit à l'échec, parce qu'il faut encourager les initiatives et ne pas sanctionner celles qui échouent, et évidemment valoriser celles qui réussissent.
Et la mesure de ce qu'on fait, parce qu'on ne peut pas faire de l'innovation pour faire de l'innovation, essayer des trucs. A un moment donné, il faut tirer un bilan et décider de déployer ou de s'arrêter. C'est ce que fait très bien Amazon par exemple, dans un environnement complètement différent. Ils sont connus pour essayer de tester beaucoup de choses, mesurer, mesurer, mesurer et déployer ou arrêter.
C'est une bonne question. Si on veut faire de l'innovation un facteur de transformation profonde de l'hôpital et pas un gadget, il faut mettre en place une organisation spécialisée : pas à part de l'organisation principale, mais qui se ramifie et qui irrigue l'organisation quotidienne de l'établissement. Mais il faut partir d'une impulsion dédiée.
En fait, l'innovation, c'est un processus qui a besoin pour éclore dans une organisation, de pouvoir être reconnu, de pouvoir être encouragé, pouvoir diffuser. Et donc les innovateurs, que ce soit vous et moi au quotidien, on est tous des innovateurs en puissance ou les innovateurs de métier, ceux qui vont tirer des projets d'innovation dans les organisations, ont besoin de se retrouver dans une communauté d'innovation, une communauté d'action. Donc oui, de mon point de vue, un peu de soutien qui va de la formation, de l'information, la coordination et la mise en place de projets innovants est nécessaire. En tout cas sans organisation de l'innovation, ça va quand même moins vite et moins loin
Alors sûrement, il y a toujours des verrous normatifs, réglementaires, financiers qui freinent l'innovation. Mais quand même, je m'interroge sur, par exemple un sujet qui est d'actualité, qui est l'entrée de la télésurveillance dans le droit commun. On doit quand même s'interroger sur ce qui a fait finalement à la fois les succès et les limites du programme étape, qui a permis un déploiement raisonnable de la télésurveillance sur quatre pathologies, mais pas non plus exponentiel.
Il y a bien un sujet d'usage, mais c'est peut-être parce que les indications étaient extrêmement limitées que c'est pas rentrer dans les pratiques courantes des praticiens concernés. Un insuffisant cardiaque qui rentrent dans l'étape, ce n'est pas l'essentiel de la patientèle d'un cardiologue. Donc comment changer ses habitudes quand on a un produit d'innovation qui ne va impacter que 5% de sa patientèle 10% selon, selon les praticiens . En fait, on est encore un peu au milieu du gué. Plus on restreint l'application de ces nouveaux usages de la télésurveillance, moins ça rentre dans les habitudes des praticiens. Je ne sais pas si c'est règlementaire. En fait, c'est plutôt une question de philosophie. Plus on élargit le scope de la télésurveillance, plus on a une chance qu'elle se diffuse.
Il y a des pays ailleurs en Europe, aux Etats Unis, qui ont déployé la télésurveillance massivement. Ça fait maintenant partie de la pratique courante, c'est à dire ce n'est plus l'exception sur un segment précis d'indications, c'est la base. Et c'est plus cet aspect de mindset dans la diffusion de l'innovation : on est passé par une période expérimentale étape. On s'apprête à rentrer dans le droit commun, presque au pire moment qui est celui où on manque partout soignants. Donc pour penser puisque c'est dans le cahier des charges de la HAS, pour penser l'organisation des soins qui va permettre de faire la télésurveillance sur un nombre limité d'indications sur un sous ensemble de patients d'un service, de pouvoir organiser la mesure des effets qui permettront dans deux ans d'avoir une étude médico-économique qui permettra peut-être de valider un remboursement, alors qu'on cherche déjà des infirmières pour commencer la journée ou des aides-soignants, ça ne va pas faciliter le déploiement massif de la télésurveillance en France, me semble-t-il, en tout cas pas à court terme.
Voilà. Moi je m'interroge plutôt sur le fait qu'on ne conçoive pas des innovations comme la télésurveillance, comme une adjonction, un existant qui va coûter plus cher et qu'il faut quelque part limité, focalisé sur des usages extrêmement précis. Si on raisonnait et à l'inverse, et qu'on faisait de la télésurveillance l'offre de base dans les parcours de soins complètement inclus à la description de tous les protocoles, elle se ferait évidemment beaucoup plus vite. Donc voilà, c'est plus sur la façon dont on introduit l'innovation dans nos modifications réglementaires et dans l'évolution de nos protocoles qui m'interroge sur la vitesse à laquelle la France va pouvoir déployer une innovation qui n'a plus rien d'innovant sur le plan techno : tous les dispositifs sont là. C'est peut-être, cette façon de déployer après pilote qui est encore un peu hésitante collectivement alors que l'innovation nécessite de l'audace et du massif, de l'industriel.